Les « puristes » de la littérature prennent toujours le roman policier pour de la « petite » fiction. Et pourtant, au travers de ce genre, on peut mieux saisir le social, et ainsi comprendre le monde où nous vivons. Je suis très tôt tombé sous le charme, écrivant même Robis, le premier polar local. Dans l’étude qui suit, nous rendons hommage à quatre auteurs qui, selon nous, ont donné ses lettres de noblesse au roman noir.
Edgar Allan Poe, le père du roman policier
On croit toujours qu’Arthur Conan Doyle, le créateur du fameux détective Sherlock Holmes, est le père du roman policier. Eh bien non ! Celui qui a donné vie au premier détective, et au genre policier, a pour nom Edgar Allan Poe. Et d’emblée, on pourrait se demander « mais que vient faire Poe dans le milieu policier ? » Tout simplement parce que c’est lui qui a donné corps à Auguste Dupin, le précurseur de Sherlock Holmes, d’Hercule Poirot et pratiquement l’ancêtre du lieutenant Columbo. Comme les détectives créés par Doyle et Agatha Christie, Dupin fait plus travailler ses méninges que courir l’assassin. C’est un cérébral qui accorde plus d’importance aux détails qu’aux « aveux » des meurtriers.
Celui qui aura une influence prépondérante sur Charles Baudelaire et Stéphane Mallarmé, qui deviendront les traducteurs de son œuvre littéraire, choisit délibérément un Français pour incarner son détective. Peut-être parce que tout au long de sa vie, l’Amérique des barbares l’a renié, alors que l’Europe « civilisée » avait déjà compris qu’il était un génie. En trois nouvelles, The murders in the rue Morgue, The mystery of Marie Rogêt et The purloined letter, Poe introduit son détective. Et si Doyle choisit l’opulence pour Holmes, le détective créé par Poe est déjà dans la dèche, ainsi que nous le décrit son auteur : « Residing in Paris during the spring and part of the summer of 18-, I there became acquainted with a Monsieur C. Auguste Dupin. This young gentleman was of an excellent, indeed of an illustrious family, but, by a variety of untoward events, had been reduced to such poverty that the energy of his character succumbed beneath it, and he ceased to bestir himself in the world, or to care for the retrieval of his fortunes… »
En fait, le portrait dressé par Poe est bien le sien. Et il se venge en quelque sorte de cette société injuste qui renie son talent, en faisant en sorte que les “puissants” aient besoin d’un moins que rien, un pauvre donc, pour résoudre leurs problèmes. On le voit donc, il prévoit déjà la guerre des deux mondes qui prévaudront ensuite dans tout roman policier.
Poe est ignoré de son vivant dans son pays natal; la mort lui donnera une autre aura. Ses enfants ont pour nom Stephen King, Michael Jackson (qui adorait le macabre), et Sylvester Stallone en personne qui rêvait de réaliser un biopic, où il serait l’écrivain torturé. C’est dire l’importance d’Edgar Allan Poe !
André Héléna, un précurseur du roman noir français
J’ai découvert André Héléna, en fouinant dans une librairie à La Caverne appartenant à l’ONG Friends in Hope. Méconnue, oubliée en France, son œuvre a été rééditée grâce à Bayon/Phil Casoar et Frank Evrard. Héléna a « poétisé » l’univers de la pègre à Paris. Et sous sa plume, les laissés-pour-compte de la société deviennent attachants.
Il laisse plus de cent romans derrière lui. Dont La victime, édité chez Fanval Noir. Selon des fans de son œuvre, La victime n’était que le quatrième volet de la Dizaine littéraire des « Compagnons du Destin », qui comportait dix volumes ! Héléna puise dans sa propre vie pour donner corps à ce truand à la petite semaine, qui culmine les petits coups, tout en se voyant poursuivi par flics et voyous :
« Treize ans déjà ! Treize ans que je n’avais pas mis les pieds dans ce satané quartier, car les truands comme moi n’ont rien à y foutre. Il est presque exclusivement habité par des petits-bourgeois, des fonctionnaires et des ouvriers spécialisés. A neuf heures du soir, il n’y a plus un chat dans les bistrots. C’est dire qu’en ce qui concerne tapin, arnaque et compagnie, il n’y faut pas compter, le coin est désastreux… »
Sa plume raconte un Paris qui n’est plus,
« ça se passait avant la guerre, en ce printemps 39… », et dans ce monde finissant, l’auteur sauve ceux qui vont ensuite disparaître pour laisser place aux spéculateurs immobiliers, qui donneront un nouveau visage à la capitale. Héléna est donc un historien du roman noir, un oublié qui a bien saisi la fin d’un monde dont peu s’en souciait. C’est en cela qu’il est définitivement un grand de la littérature policière. Malheureusement à peine cité dans les « grandes » études parues dans l’Hexagone.
Georges Simenon, le père de Maigret
Plus personne ou presque ne lit Georges Simenon. Et pourtant, par le biais du commissaire Maigret, il ne cessait de s’inquiéter du sort des petites gens, et de dénoncer les bourgeois. Son policier est devenu célèbre au cinéma sous les traits de Jean Gabin et de Bruno Crémer, entre autres. Un fin conteur, Georges Simenon fait honneur au roman policier et au roman noir. Si le cinéma et la télévision ont rendu son univers familier, peu connaissent cependant Les complices, un roman policier d’où est cependant absent le fameux Commissaire ! Point de Maigret, mais un crime commis par un notable d’un village. Simenon en fait le narrateur, torturé par le remords, pour avoir causé la mort de plusieurs personnes, alors que sa maîtresse lui faisait une petite gâterie au volant.
Il place volontairement l’intrigue dans le milieu bourgeois, pour mieux dénoncer ses travers. Et qui dit roman policier penserait à un vocabulaire simple. Et pourtant, Simenon embellit encore plus la langue française, avec des phrases qui sont d’un autre temps :
« Aujourd’hui, il n’y avait pas de vent. Il ne pleuvait pas. Le ciel était uni, d’un gris clair, comme une calotte de verre dépoli sous laquelle les sons s’étouffaient, et les passants paraissaient plus sombres, plus furtifs que les autres jours, comme si chacun partageait la responsabilité du drame de la veille… »
En somme, on ne sort pas indemne de l’univers simenonien. Ses romans nous « parlent », et nous interpellent. Pour mieux nous projeter dans ces bas-fonds de la nature humaine. Comme André Héléna, lui aussi prend le parti des petites gens, pour bien définir ce qui sépare les bons des méchants. Et si nous naviguons entre ces deux extrêmes, nous devenons tout simplement « Les complices » de son écriture. Indéniablement un maître du roman policier !
Léo Malet, le père de Nestor Burma
S’il ne cite jamais Poe parmi ses influences, Léo Malet ne peut nier qu’en choisissant Paris comme cadre des enquêtes de Nestor Burma, le détective créé par lui, il rend pour ainsi dire hommage à l’écrivain américain. Comme Boris Vian après lui, qui pastichera le roman noir américain, avec J’irai cracher sur vos tombes, sous le pseudo de Vernon Sullivan, Malet devient Frank Harding et écrit un policier où apparaît Johnny Metal. Cependant, il n’est pas policier, mais journaliste ! Nestor Burma n’apparaît que dans 120, rue de la gare. Francis Lacassin, auteur d’une belle étude sur Malet, note que « au lieu du cadre aseptisé du roman-problème d’où la pauvreté, l’actualité et l’inquiétude sociale sont exclues, l’auteur plongeait dans la rue au ras du pavé, dans l’univers des pas-un-rond, des hôtels râpés et des bars populo ».
Le surréaliste qu’il avait été pousse Malet à prospecter tous les univers possibles. C’est ainsi qu’il place l’intrigue de Abattoir ensoleillé au…Mexique, où des espions Russes tentent de tuer Trotsky ! Et il pousse le clin d’œil très loin, puisque son enquêteur a pour nom Burton Rames, qui n’est autre que l’anagramme de…Nestor Burma !