« Faire et défaire, c’est toujours travailler », dit l’adage. Et c’est vrai, même si pertinence de la manœuvre peut quelquefois nous échapper. Ce qui est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de détruire un ouvrage pour en ériger un autre pareil à l’identique. Évidemment, il ne s’agit que d’une métaphore, la perte de nos bâtiments historiques (trois fois hélas) n’étant en effet depuis longtemps remplacée que par des amas de verre et d’acier.
En revanche, il en est tout autrement lorsqu’il s’agit de mesures, de réformes ou d’institutions, car il est de notoriété publique qu’à chaque changement de gouvernement, les nouveaux élus se font un point d’honneur à remettre bon ordre (pour l’Alliance Lepep, l’on préférait le terme « nettoyage ») dans les principaux secteurs, le plus souvent en remplaçant l’ancien par du « nouveau » arborant de nombreuses similitudes.
Bien sûr, l’on pourrait se dire que tout cela appartient finalement au folklore, que cela ne porte pas vraiment préjudice au développement du pays. Mais ce serait une erreur, car cette manière de faire, inscrite depuis toujours dans notre ADN politique, n’est pas sans conséquences.
Il faut ainsi d’abord admettre que l’élimination de mesures ou de projets initiés n’a pas toujours de réelle raison d’être, si ce n’est que de faire disparaître tout ce qui pourrait rappeler le régime précédent, tout comme, par exemple, on avait assisté à la disparition du permis à points, dès 2015, sous le seul leitmotiv qu’il avait été instauré sous le régime travailliste. Quelquefois aussi, des projets sont catégoriquement rejetés avant d’être repris, plus tard, non sans y avoir apporté bien entendu quelques modifications, même cosmétiques, histoire de poser dans le marbre – et accessoirement l’histoire – l’empreinte du gouvernement du jour. On pourrait, à ce titre, citer l’exemple de l’ancien projet de métro léger, rebaptisé depuis « express ».
L’autre problème, et non des moindres, c’est que tout cela coûte cher, très cher. Et que l’ardoise, bien entendu, est passée aux contribuables, le plus souvent de manière indirecte, rendant ainsi l’opération le plus invisible possible. Indéniablement, il s’agit d’un gaspillage des fonds publics et dont l’ampleur est rendue quasi-impossible à évaluer. En effet, non seulement les implications financières de ces “Kase-Refer” ne peuvent toutes être relevées par les rapports périodiques de l’Audit – qui devrait, sinon, avoir le temps, les moyens et, surtout, les compétences nécessaires pour en évaluer la pertinence –, mais il est tout aussi cornélien de chercher à évaluer le coût du temps passé par nos parlementaires dans l’hémicycle en termes de PNQ, présentations de projets de loi et autres débats entourant ces faux changements. Seule certitude, on vous l’a dit, c’est que la facture est salée.
Cette impérieuse nécessité pour nos politiques, fraîchement arrivés au pouvoir, de mettre un terme aux mesures initiées sous le précédent régime a, enfin, un effet pervers social. Autrement dit, les conséquences de leurs actions peuvent être douloureuses pour la population. Ainsi, à l’exemple du permis à point nous pourrions ajouter ceux de la politique de lutte contre la toxicomanie ou encore de la réforme de l’éducation. Dans le premier cas, rappelons que le premier ministre de la Santé de l’actuel gouvernement, Anil Gayan, avait décidé de mettre au placard le programme de distribution de méthadone pour les toxicomanes, avant que ce dernier ne refasse surface plus tard, sous l’impulsion de son successeur après un énième remaniement ministériel. Or, il est un fait que la décision d’Anil Gayan, à l’époque, aura coûté cher, en termes d’argent bien sûr, mais aussi socialement, poussant un bon nombre de ceux qui cherchaient alors à sortir de l’enfer de la drogue à y replonger de plus belle.
Même constat concernant le Nine-Year Schooling, dont la recette consiste à ressortir la bonne vieille marmite éducative, d’éviter les ingrédients aux arômes élitistes et d’y ajouter un soupçon de régionalisation à la sauce Obeegadoo. Bien sûr, nous ne nous permettrons pas de juger l’efficacité de la réforme, celle-ci étant en cours d’implémentation. Sans compter que nous n’aurons de toute façon peut-être pas le temps de le faire, car rien ne garantit que celle-ci sera encore effective dans 2 ou 3 ans. Rappelons en effet que le secteur éducatif a subi de nombreuses réformes ces dernières décennies et qu’au final, les grands perdants sont, comble du paradoxe, les enfants.
À une époque où le mot d’ordre mondial devrait être la rationalisation des ressources (matérielles, économiques, énergétiques, bureaucratiques…), Maurice paraît très mal engagée. Pour gagner en efficience, le développement du pays, que disent vouloir poursuivre les décideurs du jour, d’hier et de demain, se doit de prendre en compte ces nouvelles réalités. Le plus court chemin entre deux points étant la ligne droite, chaque retour en arrière allonge notre parcours. Jusqu’à ce que le tigre de l’océan Indien finisse peut-être par revoir la tonalité de son rugissement !
Michel Jourdan