PAUL F. DE SOUZA
Le mythe du chef
Il est faux de prétendre que toutes les décisions doivent émaner d’un seul chef. Une pareille personnalité n’existe pas, faute d’omniscience et du temps nécessaire pour s’informer. En réalité, le responsable politique assume précisément la dernière décision le plus souvent par arbitrage de bon sens et en porte la responsabilité. Mais c’est une figure dont il ne faut pas exagérer le sens. Le plus souvent, la décision paraît émaner du sommet politique, mais c’est une image virtuelle, un effet d’optique pour les âmes simples.
Le plus souvent, les décisions résultent d’une concertation, d’une élaboration au sein de commissions d’experts. Elles ne remontent qu’exceptionnellement les degrés de l’échelle politique. Elles sont prises par délégation, au nom du gouvernement en place et c’est encore une fiction que ce collectif. Et cette élaboration est une garantie contre l’arbitraire ou les sottises.
Cette notion de responsabilité, c’est-à-dire de sanction (parfois symbolique : la chute du gouvernement), est essentielle à la démocratie : elle signifie que tout exercice du pouvoir est limité dans le temps et qu’il faudra rendre des comptes, attitude virile et d’affirmation du citoyen, et même moralisatrice de la vie politique, sans tabou, sans chef prédestiné, sans mage.
Politique et morale
Soulignons que tout mouvement autoritaire est refus de la confrontation, de l’écoute de l’autre et ainsi, méprise l’homme en lui déniant sa dignité. Et c’est pourquoi il est conduit à la violence quand les arguments ne suffisent plus et même l’anticipe, envers ceux que l’on traite suivant les époques de marginaux, de protestants, de juifs en boucs émissaires.
De même, idolâtrer quelque chef « prédestiné », c’est oublier que tout homme est sujet à l’erreur, que la vérité est souvent contingente, c’est méconnaître la nécessité en toute chose de la mesure, de la vérification, la stimulation qu’apporte toute vue critique.
Sur le plan des valeurs, c’est aussi tourner le dos à l’attitude réflexive, à ce contrôle permanent de l’esprit, à cet enrichissement par dépassement de soi et oubli de l’enflure de la personnalité. La démesure trans- forme l’homme, non en surhomme, mais en clown tragique et mégalomane dangereux. Les peuples qui s’abandonnent à un gouvernement despotique obtiennent ainsi une caricature de système politique, une démonstration réellement monstrueuse de ce que devrait être l’agencement des responsabilités dans la cité.
Une politique, qui ne s’aligne pas pour élever l’homme à des responsabilités plus étendues et d’un ordre plus élevé, est définitivement une perversion.