Ils viennent de Syrie, d’Afghanistan et d’Afrique et fuient la guerre, la misère et le harcèlement politique… Eux, ce sont ces hommes, ces femmes et ces enfants qui, partant à la recherche d’une vie meilleure, n’hésitent pas à prendre tous les risques pour rejoindre des contrées plus prospères et sécurisantes. Au total, depuis 2014, plusieurs centaines de milliers de personnes ont gagné l’Europe tandis que, durant cette même période, 17 000 autres se sont noyées lors de leur périlleuse traversée de la Méditerranée. Pour le Vieux continent, la tâche est immense. Accueillir et offrir un niveau de vie décent à ces nouveaux arrivés apparaît comme un problème insurmontable, tant et si bien que les tensions s’exacerbent depuis quelques années, avec pour conséquence la montée en puissance des partis d’extrême droite, dont certains ont même depuis conquis le pouvoir.
Bien sûr, certains n’hésiteront pas à revenir sur le récent pacte mondial sur les migrations, paraphé par de nombreux pays à Marrakech. Mais qu’en est-il vraiment ? D’autant que derrière les chiffres et les discours d’intention se cachent, un peu à la manière d’un miroir déformé, d’autres réalités bien plus consternantes. Sur les 23 objectifs de cet accord, plusieurs apparaissent en effet comme utopiques, voire même pernicieux. C’est notamment le cas de cet engagement visant à mettre fin aux causes de la migration, autrement dit à faire en sorte que les migrants « restent chez eux ». D’accord, mais comment faire ? Il faut en effet savoir que l’an dernier, les trois pays dont venaient le plus de demandeurs d’asile étaient la Syrie (13%), l’Afghanistan (7%) et l’Irak (6%), trois pays donc où les populations sont confrontées aux affres de la guerre et du terrorisme. Trois pays, qui plus est, dont les Nations unies, soumises au diktat de son Conseil de sécurité, n’auront pu résoudre le problème depuis de nombreuses années. Et inutile de préciser que le pacte migratoire n’y changera rien.
Un autre objectif du pacte de l’Onu sur les migrations fait également tiquer, en l’occurrence celui concernant la réduction des risques pour ceux essayant de migrer. Faisant appel au respect des Droits de l’Homme, cet item paraît évidemment louable. Mais à y regarder de plus près, l’on peut déjà se demander par quels moyens l’on pourrait atteindre cet objectif, d’autant qu’il est connu de tous que les filières de passeurs clandestins restent très bien organisées, rendant illusoire tout espoir de se débarrasser de cette version moderne de l’Hydre de Lerne.
Reste donc la répression contre les migrants eux-mêmes dans leur pays d’origine, ou de transition, laquelle se retrouve donc quasi institutionnalisée, quand bien même le pacte reste non contraignant. Ainsi, à titre d’exemple, les gardes-côtes libyens ont-ils été transformés par Bruxelles en milice à sa solde, avec le seul dessein de rendre le problème « invisible ». Qu’importe que les pires crimes continuent d’être commis dans ce pays, l’important demeure que cette police migratoire fonctionne, dans l’intérêt des Européens bien sûr, quitte à expédier les candidats à la migration à la case prison. Une « solution finale », en quelque sorte, même si l’analogie avec le régime nazi peut paraître excessive.
L’équation de la crise migratoire, on le voit, est extrêmement difficile à résoudre, principalement lorsqu’il s’agit de mettre en place une structure mondiale permettant de replacer l’humain au centre des débats. Et c’est d’ailleurs ce qui complexifie les sessions de discussions. Car cette détresse est partout, et ne concerne pas seulement les seuls demandeurs d’asile. À titre d’exemple, et bien que leur qualité de vie soit d’un autre ordre que celle des populations en guerre, l’on pourrait évoquer le cas des Mexicains ou des Vénézuéliens qui, eux aussi, pressés par l’avancée de la misère dans leur pays, qui plus est minés par le harcèlement politique, la corruption et l’omniprésence de cartels de la drogue, tentent l’aventure migratoire. Ce que l’on peut aisément comprendre.
Malgré cela, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, les frontières se referment ostensiblement, toujours un peu plus, portées par des politiques isolationnistes n’ayant évidemment plus rien à voir avec les Droits de l’Homme. Aussi peut-on sciemment se poser la question de savoir ce que ces mêmes États feront lorsque, dans quelques décennies, se pressera à leurs portes le milliard de réfugiés climatiques que promettent de plus en plus d’experts engagés contre le réchauffement planétaire et ses conséquences.
On le voit, la question migratoire n’aura jamais été animée que par une vaste hypocrisie politique, faisant dès lors abstraction de tous ceux qui, mus par l’espoir d’une vie meilleure, continueront de mourir silencieusement en mer ou aux portes des frontières. Aux historiens des générations futures reviendront d’en analyser les raisons, incapables qu’ils seront alors de comprendre que ce drame planétaire n’était en fait que le fruit d’une déshumanisation orchestrée.
Michel Jourdan