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Philippe Goupille (président du Conseil des religions) : « Je regrette que les croyants ne s’intéressent qu’à leur propre religion »

À l’occasion de la Journée mondiale des religions, célébrée le week-end dernier, Philippe Goupille déplore que les croyants mauriciens soient beaucoup plus intéressés par leur propre religion. « Il faut accepter de se dépouiller un peu de soi-même et passer plus de temps à retirer ses chaussures pour entrer dans celles des autres », affirme-t-il. Selon lui, l’avenir « n’est pas de s’entre-tuer, mais de voir ce que l’on peut faire ensemble ».

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Père Goupille, le Conseil des religions a célébré le week-end dernier la Journée mondiale des religions. D’où vient cette initiative et quel est son objectif ?
L’initiative de célébrer la Journée mondiale des religions revient à l’Assemblée spirituelle de la communauté bahaïe en 1950. Aujourd’hui la Journée mondiale des religions est célébrée dans le monde entier. Le but de cette journée est d’attirer l’attention sur l’importance pour les religions de dialoguer entre elles et d’apporter leur contribution au mieux-être de l’humanité.

Que peuvent les religions devant les conflits qui déchirent l’humanité, les guerres, les divisions, les conflits économiques ? Les jeunes d’aujourd’hui disent que les religions ne servent à rien !
Les religions n’ont certes pas le monopole de la moralité et de la construction de la paix. Tous les chefs religieux reconnaissent qu’aujourd’hui, toutes les religions sont appelées à se purifier et à retrouver leur source originale. Un philosophe hindou disait que les religions sont comme des rivières qui charrient des déchets et des impuretés. Il faut sans cesse se renouveler et retourner à la source. Il y a aussi une dimension de communication. Le langage et la manière d’exposer les doctrines des religions doivent se mettre en phase avec le langage d’aujourd’hui.

Est-ce seulement en 1950 qu’une initiative pour regrouper les religions dans le dialogue a eu lieu dans l’histoire de l’humanité ?
En fait, en 1893, nous avons eu l’institution du Parlement des religions. Alors que la ville de Chicago accueillait l’Exposition universelle, des hommes religieux ont pensé profiter de cette occasion pour rassembler les grandes religions du monde. Je signale simplement pour nos lecteurs mauriciens qu’à cette réunion du 11 septembre 1893, ce fut le Swami Vivekananda qui présenta l’hindouisme. Il avait reçu à cette occasion de la part de l’auditoire une “standing ovation” qui a duré plusieurs minutes. Le Swami se présenta comme un membre du plus ancien ordre monastique dans le monde, l’ordre védique des Sannyasin, une religion qui a enseigné au monde la tolérance et le respect universel. À cette réunion internationale, furent aussi présentés le christianisme, l’islam, la foi bahaïe, la science chrétienne, et les religions indigènes.

Que devint donc ce Parlement des religions ?
L’idée fut réactualisée en 1993 et une réunion de 8 000 personnes eut lieu à Chicago autour d’un document écrit par le théologien catholique Hans Kung qui avait pour titre Chemin vers une éthique mondiale. Il s’agissait de tomber d’accord sur des valeurs globales à respecter pour l’avenir de l’humanité. Une nouvelle réunion du Parlement des religions eut lieu en 1999 à Cape Town en Afrique du Sud. Les religions furent appelées à réfléchir sur leur contribution pour combattre l’épidémie du sida qui se développait à la vitesse grand V dans le monde.

Où se situe le Conseil des religions de l’île Maurice dans cette mouvance internationale ?
Le Conseil des religions de l’île Maurice a été enregistré au Registrar of Associations en juin 2006, et sa naissance a coïncidé avec une visite de l’ex-Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Il était venu à Maurice pour justement demander l’aide des chefs religieux dans la lutte contre l’épidémie VIH/sida.
L’expérience fondatrice du Conseil des religions a été justement cette période où nous avons tous travaillé ensemble pour déstigmatiser les sidéens et montrer que dans nos religions, la compassion et l’accompagnement étaient plus salvateurs que le jugement et la discrimination. Depuis notre Conseil des religions est membre de Religions for Peace.

Père Goupille, chacun pense que sa religion est la meilleure. Vous-même en tant que prêtre catholique, vous affirmez que « le Christ est le chemin, la vérité et la vie ». Dans un tel contexte, peut-on parler vraiment de dialogue ?
Pour l’Église catholique, je rappelle que nous venons de célébrer le 50e anniversaire de la déclaration du Concile Vatican II sur les relations de l’Église avec « les religions non chrétiennes ». Cet anniversaire est l’occasion de nous souvenir de la grande nouveauté du document Nostra Aetate. Pour la première fois, l’Église reconnaît « les parcelles de vérité existant dans les autres religions ». Par cette déclaration, l’Église affirme que tous les hommes, toutes les femmes ont un rapport avec la transcendance. Et que, avec d’autres religions, nous adorons le même Dieu même si nous avons différentes manières de le rejoindre. Si, ensemble, nous croyons que nous sommes des créatures, comme dans une famille, nous ne pouvons pas nous contenter de nous tolérer. Nous devons passer de la tolérance à l’amour.

Mais comment faire pratiquement pour dépasser cette simple tolérance et arriver vraiment à la fraternité ?
Je pense que chaque croyant a sa propre vérité, mais que nous avons tous besoin chaque jour de nous y conformer. Le dialogue interreligieux est un compagnonnage : nous sommes tous des pèlerins en marche vers la vérité. Il faut toujours se souvenir que le dialogue interreligieux est un dialogue entre croyants et non entre religions.

Mais que répondez-vous à ceux qui disent qu’à regarder le monde, on a plutôt l’impression que les religions sont porteuses de guerres ?
Les guerres ne sont pas toutes des guerres de religion. Toutefois, la religion fait partie de la solution. Construire la paix n’est pas si simple. Nos religions nous apprennent à parler avec les autres avec des arguments et non avec nos poings. De toute façon, nous sommes en quelque sorte condamnés au dialogue. Il n’y a pas de troisième voie : ou nous dialoguons ou c’est la guerre.

Comment voyez-vous l’avenir de ce dialogue ?
Nous sommes rentrés dans un nouveau monde. Il suffit de regarder les problèmes du Brexit, des gilets jaunes en France, de la muraille que veut construire le président Trump. Personne ne sait réellement où l’on va. Il est essentiel que les jeunes d’aujourd’hui aient une idée claire de leur foi. Ils pourront engager le dialogue avec d’autres croyants. Je crois beaucoup aussi au rôle de l’école, de l’université. Dans ce sens, je suis heureux que l’Université de Maurice ait accepté de proposer dans la faculté de sociologie un cours sur l’interreligieux qui aboutira à un “diploma” et plus tard à une licence. Le travail en théologie des religions doit également se poursuivre.
Il nous faut en tant que Mauriciens nous informer sur les principales religions mais aussi sur les religions traditionnelles africaines ou asiatiques, sur le bouddhisme, le confucianisme. Je suis heureux que ce module soit proposé dans notre parcours interreligieux à l’université. Les hommes et les femmes doivent aujourd’hui comprendre que l’avenir n’est pas de s’entre-tuer mais de voir ce que l’on peut faire ensemble.

Un souhait pour l’avenir du Conseil des religions ?
Je regrette que les croyants mauriciens en général soient beaucoup plus intéressés par leur propre religion et investissent énergie et ressources seulement dans leurs propres organisations. Pour que le dialogue interreligieux avance, il faut accepter de se dépouiller un peu de soi-même et passer plus de temps à retirer ses chaussures pour entrer dans celles des autres.

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