RAMANUJAM SOORIAMOORTHY
Pascal affirmant que « quand on lit trop vite ou trop doucement, on n’entend rien », Valéry (se) rappelant que « nous ne nous comprenons que parce que nous parlons trop vite», Hegel insistant sur la patience du concept, sur la patience nécessaire à la production ou à l’émergence du concept, disent au fond la même chose, sans toutefois dire tout à fait la même chose qu’ils disent eux-mêmes, et que chacun d’entre eux dit, indépendamment des deux autres, et en en disant même le contraire peut-être, sinon la négation, car s’ils, tous les trois, et pas qu’eux – il y en a tant d’autres qu’on pourrait aisément citer, à commencer par Platon luimême à qui Hegel doit tant, même s’il est bien plus redevable envers Aristote qu’à Platon, et cela ne laisse pas, soit dit au passage, de surprendre, pour peu qu’on garde à l’esprit que le ciel des idées (de Platon) n’a que faire du temps, n’a pas de temps pour le temps dont il n’a point à se préoccuper, compte tenu de l’immuabilité des formes
platoniciennes, pour ne rien dire de celle des lois de la géométrie, voire de celle à venir des lois de la physique, encore qu’elles aient, lesdites lois, depuis le vingtième siècle surtout, sinon depuis le dix-neuvième déjà, connu une sorte d’évolution plutôt inattendue, encore que Popper souligne l’importance de la falsifiabilité de toute proposition scientifique, mais ça, c’est, comme dirait Kipling, une autre histoire – reconnaissent (ont l’air de reconnaître ?) la dimension du temps et l’autorité du rythme pour la compréhension, et la compréhension est (presque ?) toujours celle du sens qui est toujours celui du concept, pour la communication, si tous les trois impliquent, laissent entendre (ont l’air de laisser entendre ?) respectivement qu’il suffi rait de ne lire ni trop rapidement, ni trop doucement pour comprendre, sous-entendent que nous nous comprendrons à merveille dès que nous cesserions de parler trop vite, et discrètement glissent que nous serons attentifs au labeur, à la patience, à la vie du concept, si nous nous donnons le temps indispensable à cette attention, si tous les trois ont l’air de faire confiance au pouvoir dont jouiraient les animaux humains de, respectivement, appréhender, de saisir le sens, – mais Pascal comprenait, peut-être comme personne avant lui, que rien n’est plus ambigu, plus incertain que le sens et ce qu’il dit de la folie en témoigne amplement – si pluriel soit-il, de ce qu’ils lisent, de se comprendre – et tout lecteur de Valéry sait combien l’auteur du Cimetière marin doutait de la possibilité même de la communication – en parlant, en, comme on dit maintenant de manière si peu élégante et, même, ridicule, échangeant, de contempler la suprématie du concept dans toute la splendeur de son rayonnement, quoique, en fait, ce ne soit pas la subjectivité de l’entendement humain qui intériorise le concept, mais l’Esprit qui se contemple, ayant opéré le retour chez soi du concept en son sein au sein de l’Esprit dont, au fond, il ne se sera jamais éloigné, malgré, après son apparition consécutivement à la négation de l’immédiateté, le parcours que l’on connaît, qui va de la subjectivité du sujet humain à l’Esprit en passant par la Famille, la Religion, l’Art et l’État, et si tous les trois ont respectivement l’air de suggérer, quand ils ne suggéreraient avec toute l’assurance que l’on serait en droit de leur supposer, qu’il est possible de ne lire ni trop rapidement ni trop doucement, de ne pas parler rapidement, de prendre, quand bien même ce ne serait nullement indispensable, vu que ça ne changerait probablement rien à rien, acte de la consécration du concept, ils n’incitent pas moins à soupçonner en même temps qu’on lit toujours trop rapidement ou trop doucement et que, donc, on n’entend rien à ce qu’on lit, à ce qu’on croit lire plutôt, qu’on parle toujours trop vite et que, donc, on ne fait que croire qu’on se comprend alors qu’on ne se comprend, et qu’on n’est (pratiquement) jamais soucieux de la vie du concept, qui est la vie elle-même, la vie de la vie qui est la vie de l’Esprit, et que, donc, on s’en tient à ce qu’il y a de plus grossier et informe sur terre en croyant s’élever, disant ce qu’ils disent et l’envers de ce qu’ils disent non sans ajouter l’envers de cet envers, et ainsi de suite, à l’infini, cependant que les pitres savourent l’illusion de communiquer et que les analphabètes se vantent de leurs lectures – on n’ose dire lesquelles, bien évidemment –, laissant aux démagogues et aux mystagogues le loisir de s’adresser directement à l’Esprit lui-même, à Dieu qu’ils tutoient du matin au soir,
et ce pour le plus grand malheur de tout (sic) et de tous, mais heureusement que veillent les divins fantômes de Pascal, de Valéry, de Hegel et de tant d’autres encore, heureusement et malheureusement, car si l’on peut se réjouir de ce que les fantômes de Pascal, Valéry, de Hegel ne cessent d’être présents, comme pour mettre en garde contre les facilités trompeuses et humiliantes auxquelles il n’est jamais peu facile de ne pas céder, il ne s’en faut pas moins méfier, étant donné que l’on se pourrait penser grâce à leur influence bienfaisante
suffisamment protégé, et l’on n’est jamais assez protégé, surtout, entre autres, quand la rapidité est, en fait, un effet de la lenteur, de la patience, n’est, ne devient possible que si elle est, elle-même, une forme de lenteur, mais une autre forme de lenteur que celle accompagnant, ou que produit, le trop de rapidité, et ce n’est pas « Achille, immobile à grands pas » qui dirait le contraire.