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RAM SEEGOBIN (LALIT): « Des éléments toxiques politiques en marge du prochain scrutin »

Une des sources d’instabilité politique prévalant dans le pays est que des épées de Damoclès sont suspendues au-dessus de la tête de Pravind Jugnauth et de Navin Ramgoolam, estime Ram Seegobin, un des principaux dirigeants de Lalit, qui est notre invité cette semaine. Il met également l’accent sur des éléments toxiques sur le plan politique, surtout à la veille des élections générales. Il passe en revue la situation politique et économique, insistant sur l’importance d’une meilleure planification économique, avant de mettre l’accent sur une réflexion en profondeur quant à l’avenir de la production sucrière, du développement agricole et de la sécurité alimentaire. Ram Seegobin affiche son inquiétude quant à la tournure que prend  le débat sur le recensement ethnique. Pour lui, le redécoupage électoral n’est pas un problème mathématique et géographique mais politique. Il préconise également la dépénalisation du cannabis à Maurice.

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Nous sommes presque à un an avant la fin officielle du mandat de l’actuel gouvernement et les prochaines élections générales. Comment voyez-vous le paysage politique en ce moment précis ?

Effectivement, le Parlement doit se dissoudre dans une année. Légalement les élections peuvent être organisées dans les quelques mois qui suivront.

Peut-être bien avant ?

Je ne crois pas que les élections viendront tout de suite mais nous verrons. Regardons la situation politique au niveau des partis. Il y avait une époque où il nous apparaissait que nous nous acheminions vers la constitution de deux blocs, à savoir le MSM-MMM d’une part et le Ptr-PMSD d’autre part. Tout a beaucoup changé. Tout s’est brouillé. Le Ptr affirme qu’il se présentera seul aux élections. Le MMM affirme la même chose. Je ne crois pas en cela personnellement. Un élément qui rend la situation bien instable est l’appel de l’affaire Medpoint devant le Privy Council. Pravind Jugnauth et Anerood Jugnauth pensent qu’ils remporteront cette affaire facilement mais ce n’est pas évident. Il est très difficile de prédire l’issue d’une affaire devant le Privy Council. Étant donné cette échéance devant le Privy Council, et vu la possibilité que Pravind Jugnauth soit condamné et incarcéré, ce qui constituerait un bouleversement total dans le paysage politique mauricien, tout cela contribue à créer un sentiment d’instabilité. De l’autre côté, il y a une instabilité autour de Navin Ramgoolam qui a deux cas qui peuvent mal se terminer pour lui : Roches-Noires et coffres-forts. Il y a donc deux épées de Damoclès au-dessus de sa tête. Il n’est pas étonnant donc que le MMM évoque la possibilité de se présenter seul aux élections parce que ses deux alliés potentiels sont en suspens.

L’autre élément à la source d’une instabilité est que la proposition de l’alliance MSM-ML concernant la réforme électorale n’était pas sérieuse. On ne vient pas avec un projet de réforme électorale un an avant la fin de son mandat. De plus, après le départ du PMSD, le gouvernement ne dispose plus d’une majorité de trois quarts. C’est donc un projet qui dépend de l’opposition pour être adopté. Un projet auquel toute l’opposition est opposée est mort-né.  Autour de ce projet de réforme électorale, il y a eu  une dynamique toxique autour du Best Loser System.  Xavier-Luc Duval, qui, à un certain moment, était contre le système de Best Loser, a changé sa position. Considérant qu’il s’agit là d’un bon cheval de bataille, il s’est prononcé en faveur du BLS avec pour conséquence qu’il est en faveur d’un recensement communal. Cette démarche a provoqué une série de situations qui, nous l’estimons au niveau de Lalit, est non seulement toxique mais dangereuse.

Pouvez-vous préciser votre pensée ?

Affirmative Action est venue avec l’idée d’un nouveau recensement ethnique non pas pour les besoins du système de Best Loser mais dans la perspective de la justice sociale. La démarche d’Affirmative Action, qui est soutenue par le comité diocésain 1er-Fevrier, coïncide avec celle du PMSD et cela donne lieu à des remous et à des ripostes. Le président du Hindu House, dans une fonction publique en présence du Premier ministre, n’a pas trouvé mieux à dire que « anvoy zot ferfout ». Ce qui a créé une atmosphère toxique. Il est intéressant d’analyser la position du PMSD parce que Xavier-Luc Duval est le leader de l’Opposition. De plus, alors qu’il était au gouvernement, le PMSD avait manifesté son aspiration de devenir un parti national avec Xavier-Luc Duval, présenté alors comme le ministre le plus populaire du gouvernement, éventuellement comme Premier ministre. Mais en une année ce parti a connu une dégringolade catastrophique cristallisée par sa défaite à l’élection partielle de Belle-Rose/Quatre-Bornes. Dans la circonscription de Xavier-Luc Duval, le candidat du PMSD n’a pas retiré sa caution. Le PMSD est désespéré. Cette situation associée à une polarisation communale nous inquiète beaucoup.

Revenons au projet de réforme électorale ?

Nous avons analysé la proposition gouvernementale. Notre proposition est bien différente. Nous pensons au niveau de Lalit qu’une réforme électorale n’est pas uniquement un exercice académique en vue de remplir 70 sièges. Cela ne vaut pas la peine d’avoir une réforme électorale qui ne génère pas un approfondissement démocratique. Pourquoi débattre sur la constitution du parlement alors que cette instance n’a aucun pouvoir. Les vrais pouvoirs sont entre les mains de l’exécutif.  Le déséquilibre entre le Parlement et l’exécutif constitue un véritable problème au niveau de notre démocratie parlementaire. Il faut savoir que le Parlement est la seule instance démocratique élue par la population. L’exécutif est totalement hors de notre contrôle. Personn pa kone kot sa sorti. À notre niveau nous proposons une augmentation du nombre de députés car il n’est pas possible qu’un gouvernement dispose seulement d’un ou de deux backbenchers alors que tous les autres membres siègent dans l’exécutif sous le contrôle du Premier ministre. Cela crée un déficit démocratique dans le pays. L’actuel système avait été taillé sur mesure pour Seewoosagur Ramgoolam. C’est un système qui crée un monarque parlementaire avec des pouvoirs absolus tous les cinq ans. Cela choque beaucoup de monde lorsqu’on parle d’augmentation du nombre de députés mais nous préconisons un nouveau rôle pour le parlement d’autant que beaucoup de ceux qui suivent les débats télévisés considèrent que les travaux parlementaires se résument à « bann misie an kravat ki lager an angle ». Nous proposons le maintien des 20 circonscriptions et l’augmentation du nombre de candidats de trois à quatre et un apport à partir de la proportionnelle composé des noms en ordre prioritaire. De plus, la liste doit comprendre les noms des personnes qui sont déjà candidats au First-Past-The-Post. L’idée est que tous les représentants au parlement doivent avoir fait face à l’électorat.

Nous préconisons la création de plusieurs Select Committees comprenant les députés du gouvernement et de l’Opposition consacrés à une série de thèmes centraux dont l’économie, l’emploi, logement, sur le recrutement dans des postes clés au niveau du gouvernement comme tel est le cas aux États-Unis. C’est pourquoi nous considérons que la réforme électorale proposée par le gouvernement est légère et frivole car elle ne change rien; et en plus de la proportionnelle, le gouvernement préconise un système visant à rétablir la majorité obtenue lors des élections First-Past-the-Post – ce n’est pas sérieux.

Les confrontations au niveau parlementaire s’inscrivent souvent dans la quête des parlementaires de l’opposition d’obtenir les réponses appropriées du gouvernement…

Les changements que nous préconisons ne concernent pas tellement l’intérieur de l’hémicycle mais surtout l’extérieur du Parlement. Aujourd’hui nous avons un comité parlementaire sur l’ICAC. Nous souhaitons voir une série de comités parlementaires permanents avec le pouvoir nécessaire pour faire des propositions. Ces comités pourraient réfléchir sur une nouvelle orientation politique pour l’économie, l’agriculture, entre autres. Un comité pourrait se pencher sur l’avenir du sucre par exemple. Au moins les parlementaires auraient eu un rôle important par rapport à l’exécutif.

Évidemment depuis notre création nous sommes contre la classification communale des best losers. En Afrique du Sud, ils ont dépassé la classification communale. Pourquoi ne pourrions-nous pas emprunter la même voie?

Croyez-vous en l’émergence d’une nouvelle force politique dans le pays?

Ce sera assez difficile dans les circonstances présentes. Évidemment nous aurions souhaité voir l’émergence d’une nouvelle force socialiste. Je ne crois pas que pour l’électorat ce sera le cas pour le moment. Une force socialiste ou une force de gauche ne s’invente pas papier ou sur Facebook.  Elle doit émerger d’une mobilisation de masse comme ce fut le cas pour le Parti travailliste en 1936 ou le MMM dans les années 1970. Une force socialiste naît d’une vague populaire. Cela n’existe pas pour le moment à Maurice. Au niveau de Lalit nous maintenons notre programme socialiste mais nous nous considérons comme une braise dans ce sens où il n’y a pas une volonté de la masse pour soutenir un programme de gauche.  Le plus gros problème aujourd’hui est la personnalisation de la politique. J’ai vu à Bambous des affiches jaunes qui disent ceci: « Nou bizin sanzman, nou bizin reform e nou bizin Roshi ». C’est la même chose pour les autres partis avec Navin pour le Ptr, Pravind pour le MSM, Bérenger pour le MMM et Xavier pour le PMSD.  Les gens ne sont pas prêts à rejeter ce genre de personnalisation. C’est le principal problème de notre système démocratique.

Même 50 ans après l’indépendance?

Les gens ont toujours tendance à suivre un leader. Notre mentalité n’a pas évolué à ce niveau. L’histoire n’est pas linéaire. Dans les années 1970 les gens croyaient dans un mouvement. Pour le moment les gens sont encore prisonniers du schéma « enn parti politik enn lider ». Même les mouvements qui se qualifient de gauche ont le même schéma. Ainsi autour de Bizlall il y a le Mouvman 1er mai mais en fin de compte il n’y a que Bizlall. La même chose pour Rezistans ek Alternativ, qui s’articule autour de Subron. Lors des élections toutes les ressources sont utilisées pour faire élire Bizlall ou Subron. Je reconnais qu’ils ont obtenu trois fois plus de votes que les autres candidats de leurs formations. Lalit fonctionne différemment parce que personne n’est considéré comme leader. Lors des dernières élections j’ai obtenu moins de votes que la moyenne obtenue par le parti parce que les ressources sont partagées équitablement entre les candidats.

Comment Lalit se prépare-t-il à se présenter aux prochaines législatives ?

Nous participerons aux prochaines élections.  Toutefois, la forme de notre participation dépendra de l’enjeu des élections. Nous ne sommes pas un parti électoraliste. Nous ne nous sentons pas obligés de participer à n’importe quelle élection. Nous n’étions pas présents à Quatre-Bornes parce qu’il n’y avait pas d’enjeu. C’était une lutte entre les partis de l’opposition. Si l’enjeu est intéressant nous serons présents dans les élections générales.

Toutefois, la réalité est que, seul, Lalit ne parviendra pas à faire élire un candidat…

Ce n’est pas par choix que nous nous présentons seuls aux élections. Nous avons essayé avec les autres partis de gauche mais cela n’a pas marché. Nous ne voyons aucune force politique avec laquelle nous pouvons partager une plateforme politique.

À un certain moment, au début de l’année, le MMM avait proposé une plateforme de gauche?

Je ne suis pas sûr que le MMM nous avait inclus dans cette plateforme.  Il n’y a pas de « chemistry » entre le MMM et nous.  Je ne crois pas que le MMM est en mesure de recréer une plateforme de gauche. Lorsqu’on regarde son histoire durant les 20 dernières années tous les regroupements de gauche à l’intérieur du MMM sont partis. Même quelqu’un comme Obeegadoo, qui est un peu de gauche, est parti. Il est difficile de voir le MMM comme un mouvement de gauche. Cela est peut-être le cas par rapport au MSM ou au PMSD. Il n’y a pas un programme de gauche avec lequel nous pouvons coopérer.

Que comprenez-vous par un programme de gauche en 2018 alors qu’on parle de globalisation, du libéralisme… ?

Un programme de gauche aujourd’hui doit remettre en question notre modèle économique. Dans le passé lorsqu’on avait une économie mixte, il y avait un ministère du plan, un bureau du plan. Il y avait une instance dont le devoir était de réfléchir sur la direction économique et sur la manière de planifier l’économie dans l’intérêt de la masse et dans l’intérêt du pays. Dans les années 1970, avec l’émergence de la politique ultralibérale et néolibérale, l’économie planifiée a été associée à l’économie soviétique. Ce qui a amené l’abandon de l’idée de planification afin de permettre au secteur privé de gérer l’économie selon son bon vouloir. Évidemment, le secteur privé le fera pour maximiser les profits, pas pour créer de l’emploi ou assurer la sécurité alimentaire. Nous sommes en faveur d’une planification économique. Aujourd’hui le gouvernement a créé un Economic Development Board comparable à un bureau du plan, mais qui sont en charge?  Deux personnes du secteur privé, l’un venant d’une grosse multinationale, M. Cartier et l’autre, M.Currimjee. L’instance qui doit planifier l’économie est gérée par le secteur privé. Le CEO est un étranger qui croit dans une politique ultralibérale et qui bénéficie d’un salaire mirobolant. Nous remettons en cause le manque de planification du gouvernement. De plus, on ne peut s’asseoir et regarder l’industrie sucrière mourir tout en lui injectant du sérum. Cette année presque un milliard de roupies de subsides ont été injectées dans l’industrie sucrière. En 1984 à la suite d’une tournée effectuée par Lindsey Collen et moi-même, il était déjà clair pour nous ce qu’adviendrait de l’industrie sucrière. Nous avions à notre retour démarré une campagne sur « L’industrie sucrière, quel avenir? » avec des diapositives. Toutefois, la campagne a été interdite parce que nous n’avions pas le droit de faire des projections avec des diapositives sans l’autorisation de la censure. Nous avons produit un film il y a dix ans pour expliquer qu’il n’a pas d’avenir pour le sucre. Nous avons proposé des formules pour venir en aide aux planteurs. Ce n’est pas en augmentant le prix de la bagasse par Rs 500 qu’on résoudra les problèmes des planteurs. Nous produisons quelque chose qui n’a pas de marché rémunérateur. Un projet socialiste consistera à réfléchir sur une agriculture profitable pour le pays et qui garantit la sécurité alimentaire. Ce sera une orientation socialisante. Malheureusement les gens refusent de réfléchir sur la question. On n’a jamais préconisé l’abandon total de la canne. Nous disons qu’il faut diversifier l’agriculture en mettant davantage l’accent sur la production alimentaire à grande échelle et en développant en parallèle un secteur agro-industriel qui est créateur d’emplois.  Pourquoi faut-il qu’on importe des petits pois de la Nouvelle Zélande…..? Nous avons 2,3 km2 de mer mais nous n’avons pas une industrie de poissons comme tel est le cas aux Seychelles et à la Réunion. On distribue des permis de pêche et nous importons des poissons pêchés dans nos eaux pour être traités dans nos usines.

Mais nous avons vu l’émergence d’autres secteurs économiques?

À cause de notre politique néolibérale nous nous contentons d’attirer des investissements pour des profits à court terme. Le gros des investissements étrangers va dans l’immobilier. Ce n’est pas un investissement productif. On attire des investissements pour vendre la terre. C’est un one-off. Ce n’est pas productif. D’ailleurs, MCB focus reconnaît qu’un de nos problèmes se trouve dans l’absence de production et qu’il y a trop de spéculation au niveau de la bourse et dans le secteur financier.  Une réflexion sur la production s’impose.

Quel bilan faites-vous de la performance gouvernementale?

C’est un bilan terne que ce soit au niveau du chômage, du logement et de la production. Il y a de petites réformes ici et là mais rien pour améliorer la vie des gens. Au niveau des infrastructures, le gouvernement parle de l’entrée en opération du Metro Express d’ici la fin 2019. Ou kone ant aster-la ek 2019 komie dimounn pou fini anmerde? Sans compter qu’on a des doutes au sujet de sa rentabilité.

Êtes-vous sensibles aux problèmes de Droits de l’Homme qui dominent l’actualité en ce moment?

Tout à fait, lorsqu’on regarde les amendements apportés à l’ICT Act. On vient avec une nouvelle loi pour les personnes qui utilisent mal le réseau de télécommunications. Comment pouvez-vous venir avec une telle législation en faisant l’impasse sur le cas de Sookhun, le couple Ruhomally? Le Premier ministre adjoint affirme qu’il ne croit pas que la Cour suprême condamnera une personne à 10 ans d’emprisonnement. Mais avant que la Cour ne prononce son jugement, la police vous aurait déjà arrêté, emprisonné avec une charge provisoire et un Objection to departure. En attendant que la Cour décide que l’accusation d' »annoyance » portée contre vous est frivole, vous aurez déjà vécu le martyre. Pour Anerood Jugnauth et aujourd’hui pour Pravind Jugnauth, la solution à toute chose réside dans la répression. On a mis une commission d’enquête pour se pencher sur le trafic de la drogue mais pas sur le problème de la drogue dans le pays. Pourquoi maintenir le cannabis sur le même plan que l’héroïne? En raison de cela beaucoup de jeunes entrent dans un réseau criminel à leur insu.

Xavier-Luc Duval dit qu’il faut « lev lipie lor cannabis ». Qu’en pensez-vous?

Oui. Le fait que sa consommation soit illégale force ceux qui le consomment à entrer dans un réseau criminel. Nous livrons des jeunes aux trafiquants qui les entraînent vers l’héroïne. Maintenant un jeune arrêté avec un « poulia » de gandia est condamné et ne peut plus obtenir un certificat de moralité vierge avec toutes les conséquences que cela représente pour son avenir. Les autorités doivent voir ce qui se passe dans le monde aux États-Unis, au Canada, en Grande Bretagne. Nous sommes en faveur de la dépénalisation du gandia.

Un mot sur le redécoupage électoral?

Le PMSD a lancé le débat de manière opportuniste mais aussi destructive et dangereuse. Le découpage électoral tel qu’il existe fait partie d’un pacte depuis avant l’indépendance. On ne peut demander de « kraz partou » et créer des circonscriptions de la même grandeur.  On ne peut le faire sans un véritable débat national mais ce n’est pas une question mathématique et géographique mais politique.

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