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Steve Li : « La communauté sino-mauricienne risque un jour de disparaître » 

Ils ne sont que 12 000 Mauriciens d’origine chinoise à Maurice, note Steve Li, président de la Chinese Chamber of Commerce (CCC). Ne représentant que 1% de la population à Maurice, cette communauté risque cependant de disparaître dans les années à venir, selon lui. Conscient de cette réalité, il dira que « les jeunes de la communauté sino-mauricienne préfèrent émigrer à l’étranger car les opportunités sont multiples par rapport à Maurice ». Si cette communauté est d’une grande contribution au développement financier et économique du pays, la situation actuelle est malgré tout un peu difficile pour les affaires. La majorité des membres de la CCC arrivent à tirer leur épingle du jeu en diversifiant leurs activités. « Toutefois, dans la démarche de migrer vers d’autres cieux, comme la Chine, il faut savoir bien discerner et juger avant de commencer une relation d’affaires », dit-il.

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En tant que président de la Chinese Chamber of Commerce, que pensez-vous de la situation économique du pays ?
De jour en jour, l’économie devient difficile. Ceux qui ont les moyens, surtout les grandes entreprises, continueront d’avancer alors que les petites ne connaîtront pas de développement. C’est ainsi pour moi. D’ailleurs, le salaire de base à Maurice est très faible pour les travailleurs alors que ces derniers ont des dépenses qui augmentent. L’éducation coûte cher et les parents doivent trouver les moyens pour leurs enfants. Par contre, ceux qui sont aisés ont la capacité. Chez nous, les commerçants connaissent des hauts et des bas dans leur business. On peut être homme d’affaires mais la situation n’est pas la même chaque année. Certains ont les moyens d’importer pour vendre sur le marché alors que d’autres éprouvent plus de difficultés. Toutefois, 75% des membres de la Chambre arrivent à travailler.

Concernant le cadre légal régissant le commerce, est-il favorable, selon vous, aux petits commerces ?
Oui et non. Nous avons d’abord eu les petites boutiques chinoises dans les régions rurales. Je prends l’exemple de mon père, qui possédait une petite boutique et qui, au fur et à mesure de son travail, a économisé son argent et ouvert une autre dans un autre village. Maintenant nous avons une compagnie à Port-Louis. Par contre, la petite boutique a fermé ses portes. De nos jours, on peut compter sur les doigts de nos deux mains combien de boutiques nous avons. Si on préserve ces boutiques, ce sera à quelle fin ? Les enfants de ces commerçants ne veulent pas continuer cette activité. Ils ne veulent pas prendre la relève mais préfèrent travailler à l’étranger.

Les petits commerces affirment que les grandes surfaces « tuent » leur business. Que faire pour lutter contre ce qu’ils qualifient de « concurrence déloyale » alors que deux enseignes déjà appartiennent à la communauté ?
Je suis d’accord. Mais ce n’est pas uniquement ces deux enseignes qui appartiennent à la communauté chinoise qui est la cause. Nous avons également d’autres enseignes. La concurrence est aujourd’hui entre elles. Les commerçants de la communauté s’intéressent davantage à l’importation. Ainsi, ils sortent leurs épingles du jeu sur ce sujet. Ils ne fient pas aux grandes surfaces.

Craignez-vous la disparition de ces boutiques ?
Il faut faire avec. Avec le temps, ces boutiques vont bien évidemment disparaître car la jeune génération ne voudra pas y travailler. Il est vrai qu’elle travaille pour elle mais la boutique chinoise ne peut pas se comparer à une supérette. On en trouve dans tous les coins aujourd’hui. Même dans les villages lointains. Je crois que les boutiques chinoises ont tenu la route assez longtemps à cause du crédit qu’on offrait aux habitants. Il existait un élément de confiance à cette époque. Il est peut-être possible qu’on continue de le faire aujourd’hui, mais cela disparaît. Si nous parlons sur la communauté, nous constatons une baisse des membres. Nous étions de plus de 20 000 auparavant mais en ce moment nous ne représentons que 1% de la population, soit 12 000. Il se peut que cette communauté disparaisse un jour. Plusieurs de nos membres ont des enfants à l’extérieur. Nous pensons que les prochaines générations emboîteront le pas des jeunes en allant à l’étranger. De l’autre côté, les petites boutiques chinoises disparaissent et les importateurs sont moindres. Si les Mauriciens de cette communauté étudient bien, ils préfèrent travailler ailleurs.

Des amendements viennent d’être apportés au Code du commerce ? Qu’en pensez-vous ?

Est-ce que le commerçant a la capacité de développer son business à travers ces amendements ? S’il peut obtenir du financement, la grande question est de savoir s’il pourra faire grandir son activité. Il ne faut pas que le marché soit en mouvement constant. On peut importer des produits mais, quelquefois, on n’en vend très peu. Il faut savoir aussi où placer les produits importés. Nous constatons que des supermarchés importent eux-mêmes leurs produits. Ce n’est pas évident car lorsque nous importons, le volume est aussi un élément important. Si nous prenons l’exemple de la Chine, on peut importer de Shenzhen en petite quantité mais le prix ne sera pas aussi bas que ceux d’autres compétiteurs. Alors que d’autres importateurs peuvent importer plus de volume du même produit à une valeur inférieure. C’est un vrai souci. En ce moment, je pense que l’alimentation présente des opportunités mais de l’autre côté, on déconseille de trop manger certaines choses. Et cela influe sur les activités des commerçants.

Est-ce qu’il est difficile de diversifier et de s’adapter ?
Il faut avoir des contacts. Dans mon cas, j’ai changé de secteurs à plusieurs reprises pour pouvoir continuer mes activités. Lorsque j’achetais des jouets sur le marché et les revendais, je constatais que ce n’était pas profitable car il fallait garder les jouets qui n’avaient pas été vendus. Et l’année suivante, ces jouets n’étaient plus à la mode. J’ai arrêté ce business pour me tourner vers les vêtements. Si au début, les activités étaient florissantes, peu à peu, la vente a chuté en raison d’un manque d’innovation et de matières premières. Délaissant ce secteur, j’ai commencé l’importation et la commercialisation de produits cosmétiques. Il faut que les commerçants prennent le risque de pouvoir s’adapter. Au fur et à mesure du développement de mon business, j’ai davantage investi. Mais je crois qu’il faut avoir de la chance car on peut contracter un emprunt et perdre tout l’argent en changeant de domaine. Je pense que le secteur de l’alimentation est là où il faut investir.

L’accord de libre-échange entre Maurice et la Chine sera signé cette année. Cet accord engendrera-t-il, selon vous, une “win-win situation” ?
C’est un pas positif. Cet accord permettra d’ouvrir le marché car plusieurs pays en Afrique ont des liens avec la Chine. D’ailleurs, une récente délégation chinoise qui était à Maurice fait du business en Afrique. A Maurice, nous avons des membres de la CCC qui importent des produits sanitaires de Chine et qui les exportent vers ce pays. Ils développent leurs activités sur le continent.

Les entrepreneurs mauriciens sont inquiets de l’accord de libre-échange, craignant de ne pouvoir concurrencer avec les Chinois. Êtes-vous du même avis ?
Je ne crois pas que le marché mauricien sera touché. Selon moi, les produits de Chine ne pourront pas inonder certains secteurs. Il faut se rappeler que la main-d’œuvre en Chine est chère par rapport à d’autres pays asiatiques.

Le manque de compétences dans certains secteurs de l’économie est décrié, d’autant que nous constatons un exode des cerveaux, notamment au sein de la communauté sino-mauricienne. Comment percevez-vous cette situation ?
Il n’y a pas d’opportunités à Maurice. Les salaires sont très faibles pour ceux qui ont des compétences et les qualifications appropriées. Je ne pense pas qu’un jeune ayant fait de grandes études et obtenu un emploi très bien rémunéré reviendra à Maurice. Si on continue avec le système de “backing”, je ne crois pas qu’ils reviendront. Les jeunes préfèrent travailler et vivre à l’étranger que d’être à Maurice. Et s’ils reviennent, est-ce qu’ils auront le salaire qu’ils méritent ? D’un autre côté, certains ministères sont créés et nécessitent encore de l’argent. Pourquoi ne pas diminuer le salaire des ministres au lieu de les augmenter alors que les travailleurs continuent d’obtenir un salaire faible ? Une telle situation n’attire pas les jeunes.

La CCC invite les entrepreneurs locaux à participer à la “Maritime Silk Road Expo” en octobre. Quelles sont les opportunités qui se présentent pour ces entrepreneurs ?
Il existe des opportunités mais il faut prendre le risque. Plusieurs pays seront présents lors de cette foire. On trouvera des opportunités auprès des commerçants présents. On pourra importer des produits intéressants à Maurice mais il faut trouver le marché. La CCC est un pont entre les entrepreneurs et la foire. C’est aussi une opportunité pour diversifier ses activités. De plus, les entrepreneurs trouveront des opportunités en Chine. D’ailleurs, le rhum mauricien est très apprécié dans ce pays.

Le président chinois sera à Maurice la semaine prochaine. Quels sont vos espoirs et vos attentes ?
C’est un honneur pour la communauté sino-mauricienne que le président chinois vienne. Nous pensons que sa venue pourra redresser la situation entre nos deux pays car le projet Metro Express a été octroyé à l’Inde. C’est un point perdu pour la Chine alors que ce pays aide Maurice dans plusieurs secteurs. Si la Chine avait eu ce contrat, cela aura été un plus pour elle.

Il a été question de faire revivre China Town. Où en êtes-vous avec ce projet ?
Nous avons formé la New Chinatown Foundation à cet effet. Nous avons déjà installé des lampadaires mais ce projet a un coût. Mais nous n’avons pas le soutien de la municipalité de Port-Louis. Le problème de sécurité est aussi présent, surtout à la tombée de la nuit. Il y a des vols dans les maisons et dans les espaces publics. Si on avait installé plus de lampadaires, cela aurait encouragé les commerçants à travailler un peu plus tard. Notre projet était de rendre cette partie plus vivante avec des décorations. C’est pour cette raison que nous organisons le “China Town Food and Cultural Festival”. Pour 2019, nous avons déjà enclenché le programme. Nous allons continuer à innover et présenter des nouveautés car c’est une fête nationale. Nous travaillons en ce moment avec les hôtels et les agences de voyages pour que les touristes puissent venir déguster des menus chinois et assister aux spectacles.

Historique de la CCC
La Chambre de Commerce chinoise (CCC) a été fondée en 1908 et célèbre donc ses 110 ans cette année. La CCC compte une centaine de membres, certains depuis plus de 30 ans, tous commerçants. Steve Li, lui, est membre depuis sept ans.
La CCC était auparavant située rue Joseph Rivière mais après l’incendie du bâtiment qui l’abritait, la CCC a élu domicile près de Kit Lok puis, depuis quelques années, rue Jummah Mosque.

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