- Publicité -

Surendra Bissoondoyal : « Sookdeo Bissoondoyal a refusé à deux reprises de se présenter comme Premier ministre »

Surendra Bissoondoyal, président de la Tertiary Education Commission, nous parle dans l’interview de cette semaine de ce qu’il retient de sa proximité avec deux grands tribuns qu’a connus le pays : Basdeo et Sookdeo Bissoondoyal, dont les statues sont érigées à la Place d’Armes, dont le nom officiel est d’ailleurs la Place Bissoondoyal. Il révèle que Sookdeo Bissoondoyal a refusé à deux reprises de se présenter comme Premier ministre. Il nous donne également son point de vue sur le système d’éducation.

- Publicité -

Surendra Bissoondoyal, vous êtes issu d’une famille qui a participé activement à la lutte en faveur de l’indépendance. Que retenez-vous de la lutte menée par Basdeo et Sookdeo Bissoondoyal, quel souvenir gardez-vous de cette époque ?

L’accession du pays à l’indépendance était un objectif. Cependant, un pays ne peut obtenir l’indépendance sans obtenir au préalable sa dignité. C’était la philosophie de Basdeo Bissoondoyal, qui s’était inspiré en cela de la lutte menée par le Mahatma Gandhi en Inde où il faisait ses études. Le Mahatma Gandhi disait aux Indiens que l’Inde doit obtenir l’indépendance mais qu’il fallait en premier lieu apprendre à se connaître de manière à ce qu’elle puisse s’exprimer et s’affirmer avec autorité sur la scène mondiale.

La présence de Basdeo en Inde lui permit de mieux appréhender le concept de la non-violence qui implique une dimension importante, à savoir le respect des autres. Ce qui veut dire qu’il ne faut pas obtenir quoi que ce soit par la violence. La non-violence était le chemin à adopter dans la lutte vers l’indépendance. Son frère Sookdeo était dans l’éducation mais ne se limitait pas à l’éducation scolaire. Il donnait à cette activité une dimension très large, notamment les valeurs humaines, une connaissance scientifique et sociétale, l’esprit de service. Ce sont là les points les plus importants que j’ai retenus de mon environnement familial et surtout avec ces Basdeo et Sookdeo Bissoondoyal.

Je dois toutefois préciser que je reconnais Basdeo comme mon père mais mon vrai père était son grand frère Soogrim Bissoondoyal. Ce dernier est décédé à l’âge de 35 ans. Dans la tradition hindoue de l’époque, si le grand frère arrivait à mourir, c’est le second frère, s’il est encore célibataire, qui épouse la veuve. C’est ce qui s’est passé dans le cas de Basdeo, qui est ainsi devenu mon père. Je ne sais pas si cette tradition est encore pratiquée en Inde ou Maurice. Elle découle probablement du fait qu’à l’époque les gens mourraient très jeunes.

Vous avez ainsi été initié à un art de vivre…

Les deux frères Bissoondoyal avaient des principes. Cela était très important pour eux. Ils n’auraient jamais fait n’importe quoi pour arriver au pouvoir ou pour obtenir quelque chose. C’était leur plus grande valeur. Ils ont beaucoup appris de partout. Nous étions entourés de livres. À la maison, il y avait beaucoup de livres de littérature des grands auteurs français et anglais qui ont eu un impact sur le monde à leur époque dont Voltaire etc. Ils nous donnaient ces livres à lire pour que nous puissions nous aussi nous éduquer. Il y avait également la discipline. Par exemple, Sookdeo ordonnait à mon cousin Dhanraj et moi de faire un tour du Champ de Mars chaque matin à notre réveil. Il nous expliquait qu’il fallait étudier le matin plus que le soir. Le matin, l’esprit est encore frais. Il nous conseillait de consacrer deux heures à l’étude et une heure à la détente le matin. Dans l’après-midi, on pouvait consacrer une heure à l’étude et deux à la détente.

Étaient-ils également religieux ?

Ils n’étaient pas religieux dans le sens qu’on donne à ce terme actuellement. Ils n’étaient pas conformistes. C’est la raison pour laquelle ils s’étaient tournés vers l’Arya Samaj, qui se concentre surtout sur les valeurs des religions. Cela nous a marqués. Nous ne fréquentions pas les temples tout le temps. Ils considéraient que la pratique des religions ne se faisait pas dans les temples. Nous nous penchions surtout sur la vision qu’inspirait la religion pour l’avancement de l’humanité et du monde.

Quelles étaient les relations entre l’IFB et le Parti travailliste ?

Basdeo et Sookdeo étaient tous les deux derrière Maurice Curé. Ils étaient très proches. Ils considéraient que le PTr avait été hijacké par le Dr Ramgoolam et les autres. Cela ne leur faisait pas plaisir. Pour eux, le PTr avait perdu son identité avec l’équipe de Ramgoolam qui recherchait surtout le pouvoir. Ils se sont associés à ce parti pour l’indépendance parce qu’il y avait un but commun. Il s’agissait de contrer le mouvement mené par Jules Kœnig et Gaëtan Duval qui militaient contre l’indépendance et qui recherchaient l’association avec la Grande Bretagne. Basdeo avait beaucoup appris concernant la lutte pour l’indépendance en Inde. En 1933-1939, alors qu’il faisait ses études, il avait eu l’occasion de suivre l’action du Mahatma Gandhi et l’influence qu’il avait sur la population. À cette époque, il n’y avait pas seulement Gandhi et Nehru en Inde. Dans tous les domaines il y avait de grands génies. En 1930, bien que l’Inde ne fût pas fortunée et développée, Chandrashekhara Venkata Râman a obtenu le prix Nobel de Physique. Il était né à Bangalore mais il est allé travailler comme account clerk à Calcutta. Basdeo a, lui aussi, étudié à Calcutta qui était le centre intellectuel de l’Inde à cette époque.

Quelle a été la contribution de l’IFB pour l’accession à l’indépendance ?

Pour l’IFB, l’indépendance était nécessaire mais il fallait avoir des garde-fous pour s’assurer que les gens assument leurs responsabilités et n’abusent pas de cette indépendance. Basdeo avait exercé beaucoup de pression, y compris sur le gouvernement britannique, pour avoir un Ombudsman à Maurice. Il voulait que ce dernier ait beaucoup plus de pouvoir que celui qu’on a obtenu finalement. Il savait que Ramgoolam voulait devenir Premier ministre et recherchait un contre-pouvoir solide à travers l’Ombudsman, à l’instar de celui qui existe en Suède. Il voulait également que la Grande Bretagne garde certains pouvoirs durant une période de transition dont celui de la police. Ils pensaient que dans une société multiraciale on ne pouvait jamais savoir ce qui pourrait se passer. Bien sûr, les Britanniques leur ont fait comprendre que cela n’était pas possible lorsqu’un pays a obtenu son indépendance. Par contre, un pays indépendant pourrait solliciter l’aide d’un pays pour assurer la sécurité. De même, on ne peut pas détacher une partie d’un territoire avant son accession à l’indépendance comme dans le cas des Chagos. Par contre, après l’accession à l’indépendance on pouvait avoir des discussions au sujet de son utilisation.

Est-ce que vous aviez participé personnellement aux actions entreprises par Basdeo et Sookdeo avant l’accession de l’île à l’indépendance ?

Pas exactement, puisque mon cousin et moi, qui étions des lauréats, sommes partis en 1958 pour des études. Je suis retourné en 1965. Mon cousin n’est pas rentré au pays. Il est devenu médecin et a émigré au Canada. On s’intéressait à ce qui se passait et comment définir les stratégies pour un pays qui est digne d’être indépendant.

On aurait pu avoir un Bissoondoyal comme Premier ministre. Est-ce que cette occasion ne s’est jamais présentée ?

Pour Basdeo et Sookdeo, ce n’était pas l’objectif. On a offert à Sookdeo le poste de Premier ministre à deux reprises après l’accession de l’île à l’indépendance. Duval, qui savait que son parti pouvait obtenir une majorité parlementaire avec l’aide de l’IFB, avait envoyé un émissaire pour lui proposer le poste de Premier ministre, il a refusé. Dans le cadre d’une altercation avec les députés du PMSD au parlement, il avait révélé cette tentative. Ils sont restés bouche bée. La deuxième proposition est venue de Paul Bérenger en 1976 dans la perspective des élections générales. Il avait recherché une alliance avec l’IFB à l’occasion de ces élections. Sookdeo a refusé.

Comment les cinquante ans d’indépendance vous interpellent ?

Il y a eu beaucoup de progrès. Malheureusement, avec le fait que Maurice est un pays multiracial, il a fallu faire beaucoup de concessions de part et d’autre afin que toutes les communautés soient représentées dignement niveau des institutions du pays du pays. Malheureusement, cela a donné lieu parfois à des marchandages qui continuent aujourd’hui encore. Cela n’est pas bon. D’autres pays où de telles divisions n’existent pas ont fait beaucoup mieux. C’est le cas de Singapour avec Lee Kwan Yu à sa tête. C’est la raison pour laquelle je dis que sans ces marchandages Maurice aurait pu faire encore mieux. J’insiste sur le fait que la discipline est très importante pour qu’on puisse avancer. Il faut de plus avoir à cœur l’intérêt de tout le monde. Il faut reconnaître que Maurice est un État démocratique et un État de droit. L’État providence a permis d’aider les plus pauvres. Dans ce contexte, je salue les deux dernières mesures prises par le gouvernement actuel, à savoir l’introduction du salaire minimum et de la negative income-tax.

Maurice a accédé à l’indépendance dans des circonstances très difficiles…

Très difficile parce que durant la période précédant l’indépendance, il y avait un « tug of war » entre ceux qui étaient en faveur de l’indépendance et qui étaient composés d’une majorité d’hindous et ceux qui étaient contre l’indépendance et qui étaient composés d’une majorité de la population générale. Il fallait les rapprocher. Malheureusement, il y a eu les bagarres raciales qui n’étaient pas prévues mais cela a fait du tort au caractère multiculturel du pays. Au fur et à mesure on a pu calmer les esprits et amener tout le monde à travailler ensemble. La coalition entre le PTr et le PMSD a beaucoup aidé dans ce sens. Toutefois, ce qui est assez triste à mon avis est qu’on ne parle pas suffisamment de Maurice Curé. Il était un des premiers médecins mauriciens. Il donnait des consultations et la plupart de temps gratuitement. Vers la fin de sa vie, il s’est retrouvé dans une situation de pauvreté. Il n’avait pas les moyens de réparer ses chaussures. Il a toujours été proche des frères Bissoondoyal et leur était reconnaissant pour avoir soutenu sa candidature à une élection à Grand-Port/Savanne. Malheureusement, Razack Mohamed avait demandé aux musulmans de boycotter les élections parce qu’il militait en faveur d’une liste séparée pour la communauté musulmane. Par conséquent, il a été battu et c’est Jaynarain Roy du PTr qui a été élu.

Très vite après l’accession du pays à l’indépendance, Sookdeo Bissoondoyal et l’IFB ont quitté le gouvernement. Pourquoi ?

Sookdeo a quitté le gouvernement parce qu’il considérait que Seewoosagur Ramgoolam ne s’intéressait qu’à ses intérêts personnels et à des actions susceptibles de le maintenir au poste de Premier ministre sans se soucier des autres.

Comment le système d’éducation a évolué depuis l’indépendance ?

L’éducation a évolué quantitativement. On s’est concentré à tort sur la dimension académique de l’éducation. Ce qui a fait beaucoup de tort au pays. Un pays qui se développe doit pouvoir disposer de toutes les compétences dont il a besoin. Peut-être qu’avec les institutions polytechniques nous serons en mesure de combler cette lacune. Pas plus tard que cette semaine, j’ai vu que le ministre des Ressources humaines a dit que le curriculum doit être réduit de 50 % parce que c’est trop livresque et que les étudiants doivent être en mesure de faire d’autres choses et de se développer de manière intégrale.

Pourtant notre système d’éducation a produit beaucoup de compétences…

L’éducation gratuite a été un pas en avant mais son introduction n’était pas bien préparée. L’éducation doit pouvoir toucher tout le monde, chacun à son niveau. On ne peut pas dire que c’est un échec de ne pas être un gradué.

Vous avez aussi milité pour l’abolition du CPE…

Lorsque je suis arrivé au Mauritius Examinations Syndicate, j’ai constaté que le CPE ne permettait pas à un enfant de se développer sainement. Depuis cette époque j’ai réclamé l’abolition du ranking et l’élargissement du CPE. Alors que Armoogum Parsuramen était ministre de l’Education, j’ai présidé un comité dans lequel siégeaient toutes les parties prenantes au niveau de l’éducation, les syndicats, les autorités confessionnelles etc. J’ai présenté un rapport dans lequel je recommandais l’abolition du CPE et la transformation de certains collèges très prisés comme le QEC, le St-Esprit, les Collèges Royal de Port-Louis en Form Six Colleges. Il y a eu beaucoup de résistance. Le problème à l’époque était qu’il n’y avait pas suffisamment de collèges d’État. Cela n’a pas marché. Lorsque le gouvernement MMM/MSM est arrivé au pouvoir en 2000 et que Steven Obeegadoo est devenu ministre de l’Education, il a reconnu lui-même qu’il allait s’inspirer du rapport Bissoondoyal. C’est ainsi qu’il s’est lancé dans la construction de nouveaux collèges d’État dans lesquels les enfants pouvaient pratiquer une série d’activités. Aujourd’hui, la population a accepté la régionalisation des bons collèges. Les enfants de 11 ou 12 ans ne doivent plus faire de longs déplacements pour trouver un bon collège. Malheureusement, le gouvernement travailliste a mis un frein à ce processus. Maintenant, avec Leela Devi Dookun, le processus a été relancé. Elle a réussi à abolir l’examen du CPE et a présenté un agenda qui tient en considération tous les aspects de l’éducation. C’est le Primary Achievement Certificate (PAC) qui a remplacé le CPE. On est maintenant sur la bonne voie. Le PAC est aujourd’hui bien accepté.

Vous avez également beaucoup écrit sur le Nine-year schooling. Considerez-vous que ce système a été introduit dans les bonnes conditions ?

Nous sommes sur la bonne voie. Maintenant, tout le monde a accès à l’internet et sait ce qui se passe au niveau global dans le domaine de l’éducation et sait ce que font les autres pays. Ensuite, nous sommes au courant des problèmes auxquels Maurice est confrontée avec le manque de main-d’œuvre. C’est pourquoi je dis que la dignité est importante. Il faut reconnaître la dignité des travailleurs à tous les niveaux. Il faut donner une valeur à n’importe quel métier. À partir de cette année-ci, trois polytechniques vont ouvrir leurs portes afin de donner de la valeur à l’éducation technique, comme à Singapour où 40 % des étudiants sont dirigés vers les institutions polytechniques. 25 % seulement sont orientés vers les universités. Cela ne veut pas dire que les polytechniques sont une fin en soi. Les élèves peuvent toujours s’orienter vers les universités s’ils le veulent mais il est bon qu’ils aient une formation polytechnique.

Ainsi, tout se met en place pour que le Nine-year schooling soit un succès. Il est également bon de constater qu’un examen a été introduit au niveau de la Form 3 avant que certains puissent être orientés vers les académies. Dans le contexte mauricien, on a constaté qu’arrivés au niveau du HSC, les élèves passent seulement la première année au collège. Durant la deuxième année, ils passent très peu de temps au collège pour se consacrer à des leçons particulières, à des révisions en dehors des collèges surtout durant le dernier trimestre. Ce qui ne leur permet pas de développer un attachement à ces collèges. Or maintenant, les élèves seront en mesure de passer quatre ans dans les académies. Ce qui permettra de développer un sens d’appartenance.

Quid de la stratégie visant à faire de Maurice un hub au niveau de l’éducation tertiaire ?

Le nombre d’étudiants mauriciens qui ont accès à l’éducation tertiaire est en hausse parce que le nombre d’institutions tertiaires privées et publiques est en hausse. Dans le cadre de la stratégie consistant à faire de Maurice un hub, de plus en plus d’institutions étrangères s’installent dans l’île. Le centre universitaire de Médine se développe très bien. Il y a d’autres institutions qui arrivent en partenariat avec les institutions mauriciennes et qui feront très bien. À l’époque de l’Indépendance, l’Université de Maurice octroyait seulement des diplômes. Par la suite, l’Université a commencé à introduire des degrés. Alors que j’étais vice-chancelier de l’UoM, j’ai beaucoup travaillé avec le professeur Manrakhan et plus tard avec le professeur Mohamedbhai pour développer l’université dans ce sens.

Aujourd’hui, l’Université de Maurice fait face à une grande compétition…

Naturellement, il y a plus d’universités, mais l’Université de Maurice a un niveau acceptable qui peut être comparé au niveau mondial. Elle a un système qui lui permet de garder ce niveau. Le seul problème est qu’elle n’arrive pas à s’adapter rapidement face aux changements en cours dans le monde. Normalement, dans les universités mondiales, il y a le système de « tenure » avec des mandats renouvelables de trois ou cinq ans. À Maurice on ne peut pas appliquer ce système. Nous sommes un petit pays. Il n’est pas possible qu’une personne travaille pour cinq ans seulement. Qu’est-ce qu’elle fera ensuite ? Il faut qu’il y ait un personnel permanent avec des Senior Lecturers et des professeurs travaillant sur une base contractuelle avec un salaire plus important.

Quel est le rôle de la Tertiary Education Commission dans tout cela ?

La Tertiary Education Commission (TEC) deviendra bientôt la Higher Education Commission (HEC). Elle aura une responsabilité plus élargie. Par exemple, la TEC n’a aucun regard sur les universités publiques. Par contre, la HEC aura un droit de regard sur les programmes des universités publiques également, à savoir l’Université de Maurice, l’UTM, l’Université des Mascareignes et l’Open University.

Qu’en est-il du système actuel de lauréats ?

Je pense qu’il faut maintenir le système de lauréats. Mais malheureusement, il n’y a rien qui les encourage à retourner après leurs études. J’ai fait récemment une proposition pour demander aux autorités de leur offrir un contrat dans le secteur public ou privé pendant deux ans. Ce qui constituerait pour eux une occasion de travailler dans un secteur de leur choix avant de choisir de faire carrière à Maurice ou à l’étranger.

- Publicité -
EN CONTINU

les plus lus

l'édition du jour