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Tariq Ramadan : faire la part des choses

Umar Timol

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Cet article obéit à un vœu, qui est celui du témoignage. Je ne suis pas un partisan, ni un adepte de Tariq Ramadan, loin de là, mais cet intellectuel, pour les raisons que j’expliquerai plus bas, m’a marqué. Je dois préciser que je suis musulman.

La première visite de Tariq Ramadan à Maurice, il y a une vingtaine d’années de cela, a été une véritable bouffée d’oxygène pour moi et pour tant d’autres. Face à certains prêcheurs aux perspectives limitées, face à la sclérose de l’esprit, la difficulté à penser et à vivre la religion dans le contexte d’une modernité galopante, face au sentiment du chaos, voici un homme brillant, éloquent, ancré dans une double culture, islamique et occidentale, capable de dire le vécu musulman, capable de l’interpréter autrement, de lui donner un sens, de parler au nom des musulmans, d’établir un rapport nouveau à la religion. II n’est guère possible dans cet espace limité, de cerner les horizons de sa pensée et d’autres, qui en ont les compétences, le feront certainement mieux que moi. Mais je me souviens, par exemple, que lors d’une de ses conférences, il avait parlé de l’intégrité intellectuelle, et du fait que les musulmans, face à l’échec civilisationnel, doivent interroger les forces agissantes et externes à l’origine de cet échec mais aussi interroger les causes internes à cet échec. Une idée simple et lumineuse qui s’inscrit dans cette démarche qui consiste à penser la complexité, un axe central, me semble-t-il, de son œuvre.

J’ai, au cours des années, lu tous ses livres ou presque et j’y ai trouvé une pensée dense, riche et vivifiante qui m’a permis d’évoluer dans ma propre quête spirituelle et intellectuelle. Je le range dans la catégorie de ces intellectuels phares, parmi le défunt Edward Saïd, Noam Chomsky ou encore Arundhati Roy, qui nous aident à mieux appréhender le monde.

Ceci dit, admirer ne pas dire tout justifier, taire sa lucidité ou être dans le déni. Il est clair que s’il est coupable des faits dont on l’accuse il mérite la punition la plus sévère. La parole de ces accusatrices doit être entendue. Nul homme, ni lui, ni personne n’est au-dessus des lois.

Mais il est légitime, en même temps, de se poser des questions. Il parait évident qu’il est, pour une certaine élite médiatico-politique, l’homme à abattre. Il met à mal le stéréotype de l’Arabe, de l’indigène soumis au discours dominant, servile face aux maîtres du jour.  Il est un espace pour ceux qui choisissent la complaisance des révoltes faciles, qui sont dans l’air du temps, et qui vont le sens du courant. Ceux qui décident, par contre, comme Ramadan, d’interroger le pouvoir, deviennent très vite un ‘problème’ et ils sont l’objet d’incessantes attaques, de campagnes de désinformation. Et sa popularité auprès des musulmans, mais pas que des musulmans, n’est pas pour arranger l’affaire. Et il a eu aussi le malheur de franchir cette ligne rouge et invisible, qui est celle de critiquer ouvertement Israël. On ne sait que trop bien que dans de nombreuses capitales occidentales tout ce qui s’apparente de loin ou de près à la critique de ce pays se paie au prix fort. Et nombreux sont les intellectuels et les artistes qui choisissent de se taire car ils savent pertinemment bien que la démarche contraire risque de ruiner leur carrière. Il fallait donc le remettre à sa place, voire même le détruire ou l’anéantir. Certaines idées sont décidément trop dangereuses. La presse dominante procède ainsi à un lynchage quasi permanent de sa personne. On sait bien que d’autres, accusés des mêmes crimes, ont droit à un tout autre traitement. Les décisions de la justice semblent démontrer que c’est une justice à deux vitesses, une pour les nantis et une autre pour les indésirables. Et son incarcération, qui se prolongera vraisemblablement longtemps, confirme cette hypothèse. Sans parler des aspects plus que troubles de cette affaire, ainsi que ce document crucial qui a disparu. La violence qui s’exerce contre sa personne est, à mon sens, la même qui s’exerce contre les Palestiniens, contre les peuples du Moyen-Orient, c’est le prolongement d’une même logique, soumettre l’autre, briser sa parole, procéder à un véritable lynchage du corps et de l’esprit, imposer à l’autre le diktat de la domination coloniale.

Que les choses soient claires. Il ne s’agit pas de défendre l’indéfendable. Les accusations sont graves. Tout être, coupable de tels actes, mérite la punition la plus sévère. Mais au bout du compte, la justice appartient véritablement à celui qui nous a créés. Lui seul sait ce qui est dans le cœur des hommes. Et Il est la finalité de la foi, et non l’homme. J’ose espérer, cependant, que cet intellectuel qui a été et qui est un souffle d’espoir pour beaucoup d’entre nous, cet homme dont l’œuvre a touché et ému plus d’un soit à la hauteur de son puissant intellect, cet intellect susceptible d’énoncer les métamorphoses du monde et de le transformer.

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