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Une seule phrase suffit, non ?

Ramanujam Sooriamoorthy

Il ne se réveillait jamais sans éprouver une envie, violente comme une tempête, irrésistible comme la foudre s’abattant sur la forêt, alors que presque rien n’en fait redouter l’imminence, insurmontable comme la mort elle-même, la mort qui tout conquiert et dont personne ne se peut approcher sans s’incontinent brûler, de se suicider, ou de commettre un crime, et cela durait depuis longtemps, depuis que le spectacle du monde, depuis que le fol théâtre des humaines gesticulations avait, grâce à la lecture quotidienne à laquelle il se livrait de certains ouvrages de philosophie, fait naître chez lui la conviction que l’existence est, non pas simplement absurde, comme s’obstinaient à l’affirmer plutôt pompeusement d’aucuns tout fiers, ou tout tristes, d’en avoir fait la découverte, ni même inutile, comme le voulaient d’autres qui trouvaient là une justification inattaquable à leur inaction, à leur paresse qui, au fond, et sans qu’ils n’en sussent rien, n’est que le travestissement d’un désir de mort dont il ne serait pas interdit de se demander s’ils ne s’en délectaient, mais surtout et bien plus encore, dérisoire, ridicule et même sale, tellement sale et répugnante, qu’il n’en voyait de possibilité de sortie que par la seule grâce de la passion révolutionnaire, laquelle est, avant tout, de la pensée en action, le penser de la pensée en action, à quoi fait obstacle l’existence, voire la vie elle-même, mais avilie, souillée par l’humaine abjection de toujours, et comme la pensée doit toujours longuement cheminer, comme la révolution tarde toujours à venir, il en était venu à entretenir des envies de meurtre, des désirs de suicide, lesquels, du moins d’après lui, étaient inspirés par un profond sentiment de colère contre l’existence, la morne et sordide existence à laquelle semblent prédestinés les êtres humains dans leur immense majorité, peut-être même tous les êtres humains et motivés par la volonté de refus d’une existence réduite à n’être qu’un esclavage permanent dont les maîtres ne sont pas moins esclaves que leurs esclaves eux-mêmes, esclavage dû à cette pathologie, dont ne sont heureusement atteints tous ceux que l’on dit humains, mais dont seuls certains d’entre eux savent qu’il n’y a pas que l’humain, n’ignorent que l’humain est une abomination qu’il importe de transcender, qui découle autant de l’appétit de domination que de la tentation du martyre, à croire que l’Humanité n’est composée que de sadiques et de masochistes, mais comme cela durait depuis longtemps déjà, depuis si longtemps, il avait fini par n’y plus faire attention et même par l’oublier, et il en va ainsi de tous nos besoins, de nos envies, de nos désirs, qui ne persistent que le temps d’un pleur ou d’un sourire, avant de sombrer dans le néant dont se compose toute vie humaine, et c’est tant mieux, ou tant pis, mais on n’en saura sans doute jamais rien, tant on est pris par les nécessités du quotidien, lesquelles condamnent à la lutte pour la survie au détriment de la vie elle-même, de la vie dont tout nous sépare et toujours éloigne, de la vie dont nous ne connaissons que les falsifications et les enlaidissements confondus par notre cécité et notre lâcheté avec la vraie vie, que nous ne savons même projeter sur l’écran invisible de nos fantasmes, de notre imagination en déroute, incapable d’exploiter les ressources du rêve éveillé dont certains, fort heureusement, savent extraire la matière nécessaire, non tout simplement et tout bêtement à la confection d’ersatz, à la production de pantins et d’amulettes qui n’ont même pas l’excuse de n’être que des enfantillages se reconnaissant éphémères, et qui ne sont que des boursouflures d’un somnambulisme sur la place publique en plein jour, ce à quoi se livrent les foules, cependant qu’elles vaquent à des foutaises en lesquelles elles voient des idéaux pour lesquels elles seraient prêtes à tout sacrifier, sans même parvenir, un jour, à comprendre qu’elles auront traversé la vie sans être traversées par elle, mais à la démonstration de la vérité qu’est le mensonge de la vie, non moins qu’à celle de la pérennisation de l’occultation, du travestissement dudit mensonge, mais cette double démonstration, quand elle se concrétiserait, est toujours rare, et elle est toujours inachevée, toujours à reprendre à son niveau le plus bas, lequel lui sert de base, de tremplin, toujours à constamment réinventer tout le long d’un processus qui n’en finit pas, qui n’en finit jamais, que l’on ne saurait ni terminer ni ne pas terminer, non seulement parce que la vie est trop courte, surtout que, même indéniablement trop courte, elle demeure trop longue, toujours trop ennuyeuse, parce que la vie, ou plutôt ce qui en tient lieu, ce qui en a usurpé la place et les fonctions, ni parce que les institutions créées, officiellement dans le but de promouvoir la libération et l’élévation du sujet humain, sans que la moindre atteinte il porte ou envisage même, dans un moment d’oubli par exemple, d’oubli de soi aussi bien que de l’altérité de l’autre, quel qu’il soit, d’y porter, à l’être de l’autre non moins qu’au sien par ses soins involontaires et surtout irréfléchis souillé, cependant que l’être de l’autre s’en trouve à jamais blessé, quand bien même il n’y songerait plus dorénavant, mais dont la finalité, bien réelle, bien concrète, dont le caractère odieux s’atteste à chaque seconde que le commerce du monde, que le commerce obligé avec le monde, et bien plus encore le commerce voulu avec le monde, avec ses pourritures, ses saletés, ses veuleries et ses laideurs qui tout menacent et corrompent, arrachent à tout être et, peut-être même, à toute chose aussi, consiste à, fût-elle de nobles animée intentions, asservir, à enchaîner, à humilier, et elle aura beau, en guise d’excuse, ou pour se faire pardonner, ignorant que l’on n’excuse que ce qui est inexcusable, mais sans l’excuser, et qu’on ne peut offrir, mais sans l’offrir, le pardon qu’à l’impardonnable même, invoquer l’hostilité des circonstances, la malignité de volontés contraires, quelque défaillance inhérente, elle n’en sera pas moins coupable et méprisable, ladite finalité, dont on se peut d’ailleurs, demander si elle n’a pas, dès l’origine viciée et polluée, été conçue et aménagée dans un dessein inavoué, mais en connaissance de cause, de léser, de nuire, tant il est vrai que la plupart des êtres humains, peut-être pas tous les êtres humains, pas tous car il n’y a, vu que l’être humain est avant tout un être culturel et que les cultures, malgré tout ce qui les unit, sont différentes les unes des autres, ce qui ne signifie pas qu’elles soient autonomes, bien entendu, pas de nature humaine, contrairement à ce que l’on raconte, non pas depuis la nuit des temps, mais depuis quand même assez longtemps, depuis que les divers monothéismes surtout, avec, bien plus encore, ce qu’on en a fait, selon des objectifs bien plus politiques que religieux, peut-être dès l’invention même des monothéismes en question, sinon avec l’hénothéisme toujours sous-jacent aux polythéismes, quels qu’ils soient et qui, compte tenu de la hiérarchisation de leurs divinités, de leurs cultes, laquelle repose sur la structuration de la collectivité qu’elle-même structure, oriente, ce qui pousse à (se) demander, pourvu qu’on en soit capable, qu’on en ait le courage, qu’on en conserve la lucidité, qu’on en ait le temps surtout, le temps qui à personne n’appartient et qui toujours manque, le temps à soi dérobé par les obligations imaginaires transmises et imposées par diverses traditions qui n’ont même pas l’excuse de la peur pour légitimation, volé par les institutions, tant publiques que privées, pour l’enrichissement et la jouissance de criminels, d’assassins et pour l’enchaînement et l’humiliation du plus grand nombre dans les rets de la misère et de la détresse, le temps à soi et qui n’est que le temps de l’abaissement de soi, au sein de la famille déjà, à l’école, à l’église, dans l’enfer de l’usine, dans la monotonie des bureaux, dans l’impitoyabilité des champs brûlés par le soleil, inondés par les pluies qui n’en finissent pas de l’été, contre la dureté des vents qui y soufflent, indifférents au calvaire de celles et ceux qui s’y épuisent afin que d’autres, une minorité de bandits, d’extorsionnaires, de tortionnaires, s’en puissent, accompagnés par leurs larbins, leurs laquais, tout contents et, même, fiers d’être, de n’être que des chiens toujours prêts à recevoir des coups de pied de leurs maîtres et guettant le moment où ils pourront se venger de leur infamie en s’en prenant aux petites gens, aux gens simples et obscurs, aux pauvres surtout, qui, un certain christianisme, le vrai, nonobstant, lequel, il le faut bien reconnaître, a pratiquement disparu pour ne laisser la place qu’à un christianisme de façade, de confection, autrement dit à un processus de « latino-mondialisation », quoique pas partout ni toujours, demeurent les éternels damnés de la terre, eux qui ne connaissent jamais de paix et toujours la guerre subissent, la guerre qu’en permanence mènent les forts et les puissants, pas tous, mais la plupart d’entre eux, contre les faibles et les démunis, les expropriateurs contre les expropriés, les voleurs contre ceux qu’ils dépouillent de tout bien, les violeurs contre les victimes de leurs saloperies, les riches contre les pauvres à qui ils doivent leur scandaleuse opulence, celles et ceux, pratiquement tous, qui exercent quelque autorité ou, comme on dit sans trop savoir de quoi l’on parle, quelque pouvoir, contre celles et ceux qu’ils se plaisent à écraser, parce qu’ils savent pouvoir le faire en toute impunité, bref la guerre, ou plutôt les guerres, vu que LA guerre elle-même n’existe pas et qu’il n’y a toujours que des guerres, toutes différentes les unes des autres, mais ne se ressemblant pas moins, toutes différentes d’elles-mêmes, selon des modalités, des rythmes et des temporalités hétérogènes, unies par la seule pathologie de domination sauf (peut-être) en cas de guerre révolutionnaire, la seule qui vaille, la seule qui soit en mesure de passer, grâce aux armes de la critique, à la critique des armes, la seule qui ne dépende QUE de l’intelligence, celle de l’esprit non moins que celle du cœur, qui à la grève générale, pourtant nécessaire et indispensable, préfère substituer le rêve, la généralisation du rêve, autrement dit le rêve général, le rêve dans toute sa splendeur et sa magnificence, la vie du rêve qu’on a remplacée par le cauchemar de la vie, la vie du rêve dont il s’agit de faire revivre la grandeur ensevelie, graduellement mais de plus en plus sûrement, depuis l’abolition du communisme primitif des temps anciens, voire préhistoriques, caractérisé par la juxtaposition non violente de petits groupes suffisamment proches et suffisamment distantes, les unes des autres, pour se respectivement entraider et ne se point faire la guerre dont on a cru bon de juger, le communisme primitif oublié, dont on ne sait plus s’il a vraiment existé ou si ce n’est qu’une construction, une fiction après coup imaginée contre la bassesse des hommes et la laideur de l’existence, le communisme primitif qui juge en fonction des besoins et des mérites de chacun en attendant de trouver l’équation qui permettrait de traiter de la question du désir, de croire qu’elle est la mère et la reine de toute chose, alors qu’elle n’est peut-être que le produit, le déchet de la volonté de tout monisme, surtout du monisme patriarcal et phallocentrique qui tous assujettit et tout subordonne à la religion de l’Un, privilégiant le primat de la force brute ouvertement ou/et subtilement, mais toujours violemment, avec pour conséquence la profanation de tout et la prostitution de tous, mais comme cela durait depuis si longtemps, il avait même, sans même qu’il s’en fût aperçu, été amené à s’y habituer, à ne plus être attentif ni à la crasse de l’existence, ni à son état personnel de déchéance, au point de n’avoir plus de souvenir de ses anciens désirs de meurtre et de suicide, de ne même se rappeler l’effacement, qui lui eût conservé quelque dignité, quelque mince qu’elle fût, de cet éloignement, jusqu’à ce qu’un jour il, dans un sursaut qui le remplit de stupeur et de joie, comprît qu’au fond il n’avait toujours été aiguillonné que par l’amour de la vie telle qu’il se la représentait depuis son enfance déjà, depuis ses jeunes années, aucunement par la colère tout simplement, mais il fut en même temps pris de mortelles inquiétudes, car s’il se savait à l’aube d’une nouvelle existence, aux aurores d’une vie différente, il doutait d’avoir le temps et l’énergie de s’y entièrement dévouer, mais, se dit-il, c’était peut-être là une raison de plus pour agir, pour être optimiste, vu qu’il allait enfin vivre pour de vrai, loin de la houle de l’existence, loin de la foule des concupiscences, sur la mer toujours recommencée dont il avait si souvent, sans le savoir, rêvé.

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