Les Ides de Mars auront lieu cette année en janvier pour Pravind Jugnauth. C’est en effet mardi prochain que sera entendue par les juges du Privy Council la demande du Directeur des Poursuites Publiques de casser le jugement de la Cour suprême qui avait innocenté Pravind Jugnauth. La Cour suprême l’avait fait en cassant un autre jugement, celui de la Cour intermédiaire qui avait trouvé Pravind Jugnauth coupable d’ingérence dans l’achat par le gouvernement de la clinique Medpoint, dont l’actionnaire majoritaire était son beau-frère. Cette affaire prit rapidement des allures de feuilleton télévisé avec des témoins devenant soudain amnésiques, des coups de théâtre et des plaidoiries de star du barreau londonien. Le DPP paya le prix fort pour avoir osé contester le jugement de la Cour suprême. Des dépositions furent données contre lui dans une affaire de colocataires de campement par deux ministres. La police faisant preuve d’un excès de zèle extraordinaire essaya d’aller arrêter le DPP au petit matin à son domicile. Le but de l’opération était manifestement de faire photographier le DPP menottes aux poings entre deux policiers. On imagine la propagande qui allait suivre: quelle crédibilité accorder à cet homme dans ses décisions, comme celui de faire appel d’un jugement ayant blanchi le ministre des Finances? Mais malheureusement pour les stratèges du MSM, le DPP — ou plus précisément sa femme — ne laissa pas faire la police aux ordres. Au lieu d’entrer dans le van de la police pour aller aux Casernes centrales, le DPP se rendit en Cour suprême pour se défendre. Il suffit de quelques questions posées au commissaire de police, convoqué d’urgence, pour découvrir l’ampleur du complot et l’amateurisme de ceux qui l’avaient ourdi. En effet, on découvrit, entre autres, que le commissaire de police n’était pas au courant de l’opération et que le magistrat qui avait signé le mandat d’arrêt était non seulement en congé, mais exerçait dans une autre juridiction que celle où résidait le DPP.
Est-ce que Pravind Jugnauth pensera à l’épisode de cette longue affaire Medpoint qui l’a conduit – à travers ses avocats – devant les juges du Privy Council? Le dernier endroit au monde où un avocat de formation anglaise souhaite se retrouver, surtout lorsque sa place est sur le banc des accusés. En tout cas, cette comparution a été le principal sujet de conversation de toutes les fêtes de fin 2018 et du début de 2019, chacun y allant de son analyse et de son pronostic, parfois des plus saugrenus. Il y a, tout d’abord, ceux qui pensent que les “learned judges” basent leur jugement sur des faits, et non leur interprétation des lois. Pour ceux-là, que Pravind Jugnauth n’ait pas participé à la discussion du Conseil des ministres sur l’acquisition de la clinique Medpoint joue en sa faveur. Mais cet avantage est éliminé quand on sait qu’au lieu de laisser un fonctionnaire signer le lettre d’achat, Pravind Jugnauth l’avait lui-même paraphé. Il y a aussi ceux qui, tout en reconnaissant l’intégrité proverbiale des juges britanniques, disent que dans certains cas, la raison d’État peut avoir préséance sur la justice. Et des dossiers qui peuvent avoir valeur de raison d’État, il y en a quelques-uns ces jours-ci sur la table des négociations entre Londres et Port- Louis. Des conséquences politiques et économiques du Brexit au contentieux sur Diego Garcia que Port-Louis a emmené, contre l’avis de Londres et de Washington, devant la Cour internationale de Justice. Est-ce qu’il est envisageable que la couronne demande au Privy Council un peu de clémence pour ne pas nuire à ses intérêts supérieurs? Dans une pièce de Shakespeare, la question ne serait même pas envisagée. Mais nous sommes en 2019 où la raison d’État se conjugue sur d’autres règles morales que les tragédies shakespeariennes et où pour tenter de rester au pouvoir, Thérésa May n’hésite pas à sautiller sur l’air de Dancing Queen du groupe Abba, en suivant les conseils de ses communicants.
Est-ce que ce sont des communicants qui ont suggéré à Pravind Jugnauth d’apposer sa signature sur l’acte d’achat de la clinique Medpoint, pour montrer sa force? Si c’est le cas, il serait grand temps qu’il se débarrasse de ces spin doctors auto-proclamés, dont la majeure partie des stratégies se retourne contre lui comme un boomerang. Parce que, sans eux, Pravind Jugnauth n’aurait pas apposé sa signature au bas du document, ce qui l’a mené sur le banc des accusés du Privy Council et lui fera vivre les Ides de Mars en janvier.
Jean-Claude Antoine