On a longtemps accusé les politiques d’être responsables de tous les maux de la planète. Ces critiques étaient et sont toujours justifiées, parce que ce sont eux qui, au premier chef, décident et façonnent l’avenir du monde, l’améliorent, l’embellissent, l’humanisent ou le rendent toujours un peu plus clivant, misérable et schizophrène.
Si cela est ainsi depuis la nuit des temps, il y a toutefois un reproche qui leur est fait qui trouve un large écho dans l’imaginaire populaire, celui qui veut que les politiciens constituent le corps social le plus infect, le plus cupide de tous, parce qu’ils sont les plus exposés, parce qu’ils donnent souvent des raisons de conclure qu’il en est ainsi.
Or, dans cette drôle d’époque où nous vivons, où l’information, fondée, fausse ou malicieuse, inonde les réseaux, on découvre que toutes les entreprises humaines sont confrontées aux mêmes tares et aux mêmes failles. Lorsque les politiques dérapent, il y a toujours le recours aux médias pour dénoncer et prévenir tous les abus, dérives, corruptions et népotismes. Le dernier, l’ultime recours, quoi.
Aujourd’hui, les journalistes eux-mêmes sont mis en cause pour leurs positions interchangeables et multiples selon le lieu où ils s’expriment. Certains ont fini par ressembler à ceux qu’ils se plaisent tellement à dénoncer. Dans un phénomène de mimétisme, suffisamment ambigu et trouble, pour susciter quelques légitimes questionnements.
Les Français viennent de découvrir la ligue du LOL, un club sélect de journalistes — un boy’s club, dont certains officiants au sein d’un titre aussi respecté que Libération — qui, tout en faisant constamment la leçon au monde entier, se permettait avec un appétit féroce de harceler des femmes et leurs collègues journalistes en des termes les plus vils et répréhensibles sur Twitter. Et ce depuis 2009.
Si, suite aux dénonciations publiques de certaines victimes, des femmes journalistes, les responsables des médias concernés par les drôles de manigances de leurs effectifs ont suspendu les journalistes visés, d’autres ont vite fait de tenter d’absoudre ces comportements méprisables en soutenant que le sexisme de la société se reflétait aussi au sein du corps journalistique.
Il n’y a pas que les indélicats du Web, il y aussi cet homme de média papier, Français toujours, qui se répandait sur les plateaux de la télévision pour dire toute la sympathie qu’il éprouvait à l’égard des Gilets jaunes jusqu’à ce que des internautes découvrent, avec stupeur, des insultes des plus violentes à leur encontre, comme l’expression « des tarés mal habillés » venait du même journaliste.
C’est ce type de duplicité, doublée probablement d’une part d’arrogance corporatiste, qui alimente une méfiance grandissante vis-à-vis des médias. Cela se passe ailleurs, mais aucun pays à tradition démocratique n’est à l’abri de cette défiance vis-à-vis du pouvoir et de ses contre-pouvoirs. On a pu voir avec quelle hargne des Gilets jaunes, authentiques ou déguisés, s’en sont pris aux journalistes. Si de tels actes sont condamnables, il n’empêche pas que soit engagée une introspection sur le rôle de la presse.
Lorsque toutes les organisations sociales présentent des faiblesses, voire des failles, il y a toujours eu la religion comme exutoire. Or, que voyons-nous ces derniers temps ? Que les abus cachés, que les actes de pédophilie perpétrés durant des décennies sont en train d’être portés à la surface, parce que notre drôle d’époque a aussi organisé une certaine libération de la parole qui n’épargne personne, ni les hommes ni les femmes publiques, ni les journalistes et encore moins les hommes religieux.
La drôle d’époque, c’est ici aussi. Les comportements de voyous et de pouvoiristes ne semblent connaître aucune limite. Il n’y a qu’à regarder ce ministre de la Bonne Gouvernance, qui ne gère pas sa page Facebook, mais dont les fans, bien renseignés, ont vite fait de claironner et de festoyer en annonçant que Pravind Jugnauth avait obtenu gain de cause devant le Privy Council, lequel a, dans une démarche assez rare, compte tenu du poids et de la réputation de cette instance de dernier recours, décidé de réclamer des explications. Gagner ici et perdre là.
Quoi qu’il en soit, il faudra lire l’intégralité du jugement pour analyser comment les Law Lords sont arrivés à leur conclusion, si elle est la conséquence d’un jugement unanime ou pas, et si les arguments du DPP ont tous été jetés par-dessus bord ou pas. Ou si, comme cela arrive souvent, le bénéfice du doute est accordé sur un point strictement technique.
Pravind Jugnauth peut s’en sortir, mais l’affaire Medpoint restera un symbole fort de connivence et d’enrichissement familial qui n’est plus accepté aujourd’hui dans aucune démocratie qui se respecte. Pourquoi avoir acheté un bâtiment délabré au lieu d’en construire un tout neuf ; comment la première évaluation, plus près du prix du marché, a pu, comme par magie, doubler. Il y a trop de questions restées en suspens pour croire que le dossier sera vite oublié par le peuple-contribuable.
Ne pas oublier, c’est aussi le cas de nombreux Mauriciens qui se sont, cette semaine même, remémoré les événements tragiques qui avaient suivi la mort de Kaya, il y a 20 ans. Ils sont encore nombreux à imputer la responsabilité de ce drame à Rama Valayden. Il s’est expliqué sur ses canaux habituels et, ailleurs, il a sorti une nouvelle trouvaille : la fermeture d’Alcatraz. Cette Alcatraz que Xavier Duval, alors président du Public Accounts Committee, avait trouvée bien améliorée dans un de ses rapports datant du début 2000.
Pourquoi Rama Valayden ne l’avait-il pas fait, en 2006, lorsqu’il était entré par « limpost » au bureau de l’Attorney General après sa défaite au No 19 et que Rajesh Ramlugon avait trouvé la mort à Alcatraz ? C’est ce qu’on appelle avoir un sacré culot.