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Et quand parle-t-on de cette autre histoire?

Et maintenant…
Maintenant que la Présidente de la République est partie, ses dernières cartes abattues, que faisons-nous?

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Il y aura sans doute encore, pendant quelque temps, des remous liés aux multiples implications du scandale qui a finalement mené à cette démission forcée, à ses ramifications qui vont sans doute beaucoup plus loin que la seule présidence qui a sauté comme soupape. Une vraie commission d’enquête sur les agissements du milliardaire Alvaro Sobrinho à Maurice  aurait certainement été nécessaire. Mais elle reste hélas plus qu’improbable. Si des membres de l’actuel gouvernement ont aussi bénéficié des largesses de l’homme d’affaires angolais, il y a peu à espérer que ce même gouvernement nomme une commission d’enquête sur le sujet. Et s’il fut maladroit, voire anti-constitutionnel, l’ultime baroud d’Ameenah Gurib-Fakim aura aussi contribué à montrer une lacune de notre système: la nomination d’une commission d’enquête ne peut, au fond, être décidée que par le Premier ministre.

L’ennui, c’est que tout cela est survenu au moment où nous étions censés célébrer les 50 ans de l’indépendance de Maurice. Un demi-siècle, c’est un jalon important dans la vie d’un pays. Mais le scandale, et la façon dont il a tenu en haleine le pays, nous a finalement privés de ce que nous aurions dû être en train de faire à cette occasion. Nous pencher sur notre passé, évaluer notre présent, et nous interroger sur l’avenir commun que nous entrevoyons/désirons.

Cela nous aurait peut-être permis, pour commencer, de nous rendre compte à quel point nous fait défaut la construction d’un récit national. A quel point les Mauriciens ignorent leur histoire dans sa complexité et sa richesse. L’histoire est à la collectivité ce que le souvenir est à l’individu, dit-on. A un certain point, tout groupe humain doit décider de l’histoire commune qu’il veut se raconter, sur laquelle il veut bâtir. Or, nous n’avons jusqu’ici que des récits fragmentaires, des ancestralités fantasmées, voire même des mémoires que certains instrumentalisent pour les rendre concurrentielles.
Nous avons un besoin urgent de travailler sur notre histoire. Et cela est un processus qui peut sans cesse être approfondi et renouvelé. C’est notamment ce que montre Black Portraitures IV: The color of silence, grande conférence internationale qui s’est tenue cette semaine à Harvard.

Réunissant des intervenants de diverses parties du monde, cette conférence permet de voir à quel point l’histoire des Noirs, et leurs apports, ont en général été ignorés, passés sous silence, dénaturés, voire détruits. Et à travers leurs recherches, découvertes, analyses, mises en lumière, créations, les participants contribuent, d’une certaine façon, a re-écrire l’histoire d’une façon plus juste.

“The recounting of national histories is never separate from present day politics. What of the past is remembered, celebrated, and mourned is at the core of national identity – and the process of what is told, and not told, is often a function of power”. Oui, comme le disait il y a quelques jours l’historienne américaine Jeanne Theoharis, la façon dont l’histoire d’un pays est racontée, ce que nous choisissons de mettre en avant ou de passer sous silence, est un enjeu de pouvoir. Et nous savons, à Maurice, si peu de choses sur notre histoire…
Loin de n’être que décorative, la présidence de la République aurait pu justement servir à cela. On imagine la grande conférence qui aurait pu être organisée en ce mois de mars à la State House. Réunissant tous ceux aptes et désireux de réfléchir sur ce qu’est ce pays que nous partageons. Pas juste faire des rencontres de l’inter-culturel où chacun prêche la nécessité de la “tolérance” et du dialogue. Mais ne pas hésiter à aller creuser du côté des réalités de notre histoire qui sont passées sous silence. Pas par goût de ressasser le passé, mais parce que c’est seulement en connaissant et comprenant les mécanismes hérités du passé qui l’on peu se donner une chance de travailler effectivement à la création d’un autre futur.

Maurice est un pays qui, aux yeux de l’étranger, s’offre comme une réussite à plusieurs niveaux. Dans son édition du 12 mars dernier, le magazine Jeune Afrique consacre un long article à Maurice, sous le titre “Que reste-t-il du modèle mauricien 50 ans après l’indépendance?” Et on y retrouve la récente intervention du Prix Nobel d’Economie Joseph Stigliz, disant que les États Unis devraient s’inspirer du “miracle mauricien” avec notamment la gratuité de l’éducation et des services de santé. Malgré cela, la population mauricienne semble en ce moment plus déprimée que réjouie. Et le sentiment d’impuissance face à un pouvoir politique manipulateur et autocratique n’y serait pas étranger.

Hier, des dizaines de milliers de jeunes Américains ont manifesté dans les rues de Washington et de Boston pour dire non à la violence par les armes et exiger des amendements aux lois existantes sur la possession d’armes à feu. Et il semblerait bien que la pression maintenue par ces jeunes déterminés depuis la fusillade du 14 février 2018 qui a fait 17 morts dans un lycée de Floride, va finir par porter ses fruits et amener des décisions concrètes. La société civile a le droit de prendre en main son histoire. C’est peut être cela qu’il importe aussi de réaffirmer.

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