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Le joke du siècle

On ne sait plus si ce sont les clichés de déguisement sportif du Premier ministre ou ses adresses publiques de ces derniers temps qui sont devenus les plus amusants. Ils sont ex aequo. Qu’il ait découvert les vertus de la pratique sportive après s’être vu installé au poste de Premier ministre est une bonne chose, mais être à la hauteur de sa tâche et maîtriser les outils de la primature semblent pour lui un exercice autrement plus délicat, voire périlleux. En témoigne ce film tragicomique qui continue à se jouer sur le thème des affaires au sein des arcanes du pouvoir, avec pour principal acteur Alvaro Sobrinho.
Lorsque l’affaire des cartes de l’ex-présidente est portée sur la place publique par l’express, Pravind Jugnauth donne l’impression qu’il découvre un énorme scandale, qu’il est sincèrement choqué et qu’il va trancher dans le plus bref délai. Qu’il instituera le tribunal que prévoit la Constitution et que la vérité sera vite établie. Non, rien de tout ça. Il va plutôt négocier pour que la présidente parte en douce, question de tout garder sous le boisseau.

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Le spectacle devient alors burlesque. Madame qui entend honorer son engagement de ne pas agir comme le vase à fleurs du château du Réduit résiste et décide de rester. L’affaire étant urgente et grave, le Premier ministre convoque un Conseil des ministres spécial à la veille des célébrations des 50 ans de l’indépendance, et même si rien n’est annoncé officiellement à l’issue de ce conclave ministériel, la décision d’instituer enfin ce tribunal est ébruitée. L’impression qui se dégage alors est que le chef du gouvernement veut en découdre rapidement.

Un peu ridiculisé aux entournures par la présidente qui lui résiste, il sort l’artillerie lourde lors d’une conférence de presse pour dire qu’il en connaît des choses sur cette présidente et qu’il parlera en temps et lieu sur tout le « dimal » qu’elle a fait. Après avoir été poussée par des bleus en matière constitutionnelle et légale à commettre la faute de trop en annonçant une commission d’enquête sur elle-même et les agissements de son ami Sobrinho, Ameenah Gurib-Fakim finit par jeter l’éponge et annoncer sa démission devenue effective vendredi 23 mars, comme elle l’avait annoncé le samedi précédent.

Et alors que tout le monde avait pensé que la suite logique aurait été que le Premier ministre passerait à l’étape obligée, celle de faire toute la lumière sur le sieur Alvaro, surprise le vendredi 23 mars. Après avoir failli en ne mettant pas, pour des raisons qu’il doit être le seul à savoir, à exécution la décision d’instituer un tribunal, ce qui aurait permis en cas de faute grave établie de ne pas partir avec tous les privilèges, voilà que Pravind Jugauth annonce une commission d’enquête sur les conditions dans lesquelles l’ancienne occupante de la State House avait, le 16 mars, annoncé l’institution d’une commission d’enquête sur l’affaire Sobrinho.

Il faut d’ailleurs souligner le fait qu’il a attendu le départ d’Ameenah Gurib-Fakim du Réduit pour faire son annonce qui se voulait fracassante. Cette séquence est en elle-même très révélatrice des méthodes que privilégie le chef du gouvernement. Et, là aussi, on aurait pu penser qu’il ferait mieux que la présidente et qu’il viendrait devant la presse avec le libellé des attributions de sa commission d’enquête et les noms du président et des assesseurs.
Non, il effleure les paramètres dans lesquels l’instance d’investigation à venir va travailler et ajoute aussi une attribution précise concernant la fuite de documents bancaires. Après les avoir estimés utiles et justifiés pour réclamer le départ de la présidente. C’est un brin curieux, pour ne pas dire contradictoire. Il viendra un jour avec sa commission d’enquête et, comme si tout cela n’était pas déjà assez ridicule, il a annoncé avec le plus grand sérieux qu’il avait envoyé une lettre contenant des dénonciations autour de l’affaire Sobrinho à l’ICAC. Ça, c’est le joke du siècle. L’ICAC, ce coûteux machin, existe-t-il encore ? C’est la question que les Mauriciens se sont posée après avoir écouté les propos du Premier ministre.

Bonne question, en effet, parce que depuis que Navin Ramgoolam a décidé, en 2006, que c’est désormais le Premier ministre qui nomme et défait les directeurs de la commission, c’est devenu un organisme paraétatique comme un autre. L’ancienne formule introduite dans la législation de 2002 étant jugée trop contraignante, à savoir le choix unanime du président, du Premier ministre et du leader de l’opposition de nommer ou de destituer le directeur de l’ICAC et ses deux autres assesseurs.

On a eu, depuis, un organisme paillasson qui n’a dérangé aucun puissant. Lorsque le nominé de Lepep de décembre 2014 Lutchmeeparsad Aujayeb est parti un an après parce qu’il en avait marre des pressions pour cibler le directeur des poursuites publiques, il y a eu un directeur par intérim, Kaushik Goburdhun, un parent de celui qui était alors le ministre de la Bonne gouvernance, Roshi Bhadain. Celui qui officiait en tant que conseil légal de la commission. C’est sous sa direction qu’avaient été initiées les enquêtes sur les deux fameuses affaires dites Bal Kouler et Euroloan.

Navin Beekarry, choix personnel de SAJ, a pris le relais le 1er juillet 2016. L’affaire Bal Kouler impliquant Raj Dayal, sur laquelle s’était très vite prononcé le Premier ministre d’alors pour dire qu’elle était grave, a abouti, tandis que le dossier vide de l’Euroloan, envoyé au DPP, n’a connu aucune suite, même s’il était recommandé par le bureau du procureur de vérifier si des dispositions de la Banque de Maurice n’avaient pas été enfreintes.

Ce sont les deux grosses affaires dont avait hérité l’actuel directeur de l’CAC. Ces derniers deux ans, à part de servir de supplétif à la commission d’enquête sur la drogue en reprenant le volet blanchiment, rien sur rien. La preuve de l’inefficacité de l’ICAC est, elle, tangible : Maurice dégringole au classement de Transparence International. Bientôt, le pays rejoindra l’Angola, bon avant-dernier au niveau de l’Afrique.

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