Nous allons célébrer, le 1er février prochain, un nouvel anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Le 184ème. Et 184 ans après, un constat demeure: nous n’avons toujours pas ce Musée de l’esclavage qui nous a pourtant maintes fois été promis. Alors même que l’exploitation des esclaves a véritablement jeté les bases de la construction de ce pays où nous vivons aujourd’hui.
Dimanche dernier, le chef de file du Mouvement 5 Etoiles, et vice-président du Conseil italien, Luigi Di Maio, a créé la polémique en s’insurgeant contre la France «colonialiste», l’accusant «d’appauvrir l’Afrique» et d’aggraver la crise migratoire. «Si aujourd’hui il y a des gens qui partent d’Afrique, c’est parce que certains pays européens, la France en tête, n’ont jamais cessé de coloniser des dizaines de pays africains», a déclaré M. Di Maio. Ce qui lui a valu la colère de la France, qui a aussitôt fait convoquer l’ambassadrice d’Italie en France. Cela n’a pas empêché Luigi di Maio d’en rajouter une couche : «La France est un de ces pays qui, parce qu’il imprime la monnaie de 14 pays africains, empêche le développement et contribue au départ des réfugiés. Si l’Europe veut en ce moment avoir un peu de courage, elle doit avoir la force d’affronter le thème de la décolonisation de l’Afrique», a-t-il insisté.
L’Italie, elle aussi, a en son temps participé à cette histoire. Une carte de l’Afrique en 1914 montre ainsi que la quasi-totalité de ses pays sont alors sous colonisation européenne, entre la France, le Royaume Uni, l’Italie, la Belgique, le Portugal, l’Allemagne et l’Espagne. Une situation dont on ne rappelle peut-être pas assez souvent à quel point elle a participé à l’appauvrissement de ce continent que certains ne cessent d’estimer « inférieur ». Parce que nous connaissons si peu son histoire.
Dans l’ouvrage A Fistful of Shells, à paraître en mars prochain, le Dr Toby Green, du King’s College de Londres, fait ressortir qu’avant la course vers l’Afrique qui va agiter les puissances coloniales européennes à partir du 19ème siècle, l’or de l’Afrique a alimenté les économies d’Europe et du monde islamique pendant près d’un millénaire, et les royaumes couvrant sa côte ouest commerçaient avec les Européens depuis le 15ème siècle. Jusqu’en 1650 environ, ce fut un commerce d’égaux, utilisant une variété de « monnaies », dont des coquillages des Maldives et du Brésil. Mais l’accroissement de l’esclavage amena de grandissantes disparités économiques, causant une perte de pouvoir politique et économique parmi les royaumes africains, et affaiblissant la position mondiale de l’Afrique. Nous vivons toujours, aujourd’hui, les conséquences de ce débalancement, argue-t-il.
A Maurice, nous avons encore clairement du mal à affronter cet aspect fondamental de la colonisation que fut l’esclavage, et ce qu’il a produit dans notre pays. Et c’est bien là, justement, qu’un musée de l’esclavage pourrait nous être capital. En mettant à plat ce que fut cette réalité. En nous donnant à savoir ce qu’elle a réellement impliqué.
En Louisiane, en 2014, un homme a créé un musée. Après des débuts modestes, John Cummings, brillant avocat, est devenu un riche propriétaire foncier. A la fin des années 1990, il apprend que la Whitney Plantation est à vendre. Il voit comme un placement intéressant le rachat de ce domaine au milieu duquel trône une belle bâtisse d’époque. Mais l’histoire va le rattraper. Dans les volumineux documents qui retracent l’histoire de la propriété, il va découvrir que ce qui était connu à l’origine comme « The Habitation Haydel », du nom d’une famille d’immigrés allemands, a détenu plus de 350 esclaves.
« Dans le registre consacré aux successions, je suis tombé sur les inventaires de possessions faits par des notaires. Et là j’ai découvert que le deuxième plus important bien étaient des êtres humains. Je veux dire, je savais que l’esclavage avait existé, mais en même temps, je ne le savais pas, pas comme ça. Me voilà, à 60 ans, Blanc catholique de Louisiane, épluchant des dossiers où des humains sont listés comme des biens, comme 1-100 pour désigner un esclave de 24 ans, affecté à la forge sur le domaine, avec un commentaire genre « cassé » ou n’importe quoi d’autre, et puis un prix » raconte-t-il.
Cette propriété, décide John Cummings, il va y investir. Mais pas pour en faire un musée de plantation comme il en existe d’autres en Louisiane. Plutôt qu’une attraction touristique ou un lieu pour mariages et réceptions chic, il décide d’en faire un musée mettant en lumière le sort des esclaves noirs aux Etats Unis. En 15 ans, il va dépenser plus de $8 millions de sa fortune personnelle pour faire de la Whitney Plantation le premier véritable musée de l’esclavage aux Etats-Unis. Et son but, dit-il, n’était pas seulement de mettre en lumière les horreurs du passé. « Comme d’autres Américains, je vois où mon pays en est aujourd’hui, notamment au niveau du racisme et des inégalités qui prévalent dans notre société. Et je suis convaincu qu’informer et éduquer est la clé si nous voulons nous donner une chance de retourner ces situations », affirme John Cumming.
La question reste donc posée : à quand notre musée de l’esclavage, pour enfin relier toute la complexité de notre passé à la complexité de notre présent ? Réponse très attendue en ce 1er février…