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Les misérables…

Des images d’un monument qui brûle. Cette semaine aura indéniablement été marquée par ces images de Notre Dame de Paris en feu. Plus qu’une monumentale cathédrale. Tout un symbole. Tant du passé que d’un présent qui s’embrase aussi autour de cet événement…
Et qui nous en dit beaucoup sur ce que nous sommes, et où nous sommes.
Il n’y a fort heureusement pas de morts ou de blessés dans l’incendie de Notre Dame de Paris. Et le feu viendrait d’un court-circuit dans le cadre des travaux, pas d’un acte terroriste. Mais cet incendie nous en dit en premier lieu beaucoup sur le pouvoir des images. Avec ces images retransmises en live à travers le monde, l’émotion s’est elle aussi allumée en temps réel.
Une émotion qui dit aussi l’énorme valeur symbolique que peut prendre un monument. Loin de n’être que « quelques pierres », Notre Dame c’est aussi le témoignage d’une histoire. Lorsqu’elle débute en 1163, la construction de cette cathédrale gothique est voulue par Maurice de Sully, archevêque de Paris, comme un symbole du développement du christianisme, et de l’installation de Paris comme centre politique, économique et culturel.
Au terme de 300 ans de construction, un symbole de pouvoir donc. C’est aussi à ce titre qu’elle sera pillée durant la Révolution française de 1789, et utilisée par Napoléon pour son « couronnement ».
Abritant diverses reliques liées à la Passion du Christ, dont la couronne d’épines ou un morceau de la croix sur laquelle il aurait été crucifié, Notre Dame est aussi reconnue pour la valeur esthétique de ses vitraux, ses sculptures, ses orgues, ses gargouilles. Une « figure » de Paris, qui recevrait 12 millions de visiteurs par an, soit deux fois plus que la Tour Eiffel, le Louvre ou Versailles.
C’est donc une émotion particulière qui a présidé à son embrasement. Une émotion compréhensible, mais qui, très vite, s’est retrouvée en quelque sorte contrainte à se justifier.
C’est la deuxième chose que nous enseigne cet événement. A quel point les réseaux sociaux nous rendent comptables de nos émotions. Comment ceux qui se sont émus de cette destruction se sont dans la foulée retrouvés interpellés par ce que nous appelons désormais « l’indignation sélective », certains se hâtant de rappeler toutes les destructions qui ont lieu ces derniers temps dans le monde sans que personne ne s’en émeuve outre mesure.
Mais cet incendie montre aussi, justement, le glissement qui est en train de s’opérer au niveau de l’indignation. Et de l’exigence de comptes.
En pleine Semaine Sainte pour les Chrétiens, l’incendie de Notre Dame est aussi intervenu le jour même où le président Emmanuel Macron était censé prendre la parole pour dire ce qu’il avait l’intention de faire pour éteindre le brasier français qui brûle depuis six mois. Depuis le début de la manifestation des Gilets Jaunes.
De fait, le Président Macron est immédiatement monté au créneau pour affirmer que Notre Dame sera restaurée dans les cinq années à venir, insistant sur le fait qu’il revenait à la France de retrouver là « le fil de notre projet national ».
Et l’expression de la « puissance » n’a pas tardé à suivre : dans les heures qui ont suivi, le milliardaire François-Henri Pinault a offert 100 millions d’euros pour la reconstruction de Notre Dame. Ce à quoi a surenchéri l’autre milliardaire Bernard Arnault en offrant 200 millions. En trois jours, un milliard d’euros auraient ainsi été promis.
Amenant immédiatement des critiques sur ces « généreux donateurs » qui feraient là opération de com. En donnant une infime partie des énormes fortunes amassées en partie en évitant le paiement de taxes qui servent à financer des services publics de base. Et qui pourraient bénéficier de remises fiscales de 90% sur leurs dons, même si Pinault s’en est défendu.
Ce que montre aussi cette affaire, et ce qui choque, c’est que du fric, il y en a. A foison. Ce que l’incendie de Notre Dame met en lumière, c’est que la France a de l’argent pour une cathédrale, alors qu’elle ne cesse de dire ne pas en avoir à une population en colère qui, depuis six mois, occupe sans relâche les rues. Depuis novembre 2018 en effet, chaque samedi, des feux brûlent dans Paris, pour dire le ras-le-bol contre les inégalités croissantes, contre la chute du pouvoir d’achat, contre les injustices fiscales, contre les injustices sociales.
Et cela devient du coup le symbole de tout ce que nous ne faisons pas dans le monde contre la pauvreté, la famine, la destruction de notre planète.
Jeudi, la jeune activiste environnementale Greta Thunberg, s’adressant au Parlement européen à Strasbourg, a cité l’exemple de Notre Dame. Lorsqu’elle avait débuté sa campagne en août 2018, la jeune activiste de 16 ans avait déclaré aux dirigeants mondiaux : « I want you to panic, I want you to act as if your house was on fire ». Eh bien, dit-elle aujourd’hui, « notre maison brûle, notre maison est en train de s’écrouler, mais nous ne faisons rien. Il est plus que temps de passer en mode cathédrale ».
Et l’on mesure à quel point il risque de s’agir là encore, toujours, d’un vœu pieux…
On cite volontiers, ces jours-ci, Victor Hugo qui avait écrit, en 1831, le célèbre roman Notre Dame de Paris, devenu comédie musicale à succès et dessin animé de Disney. Ne pas oublier que le même Hugo avait aussi écrit Les misérables…

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SHENAZ PATEL

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