« Il faut maintenir le système de jury populaire », souligne la commission
Dans un rapport soumis au gouvernement fin décembre dernier, la Commission pour la réforme des lois a recommandé quelques d’amendements au système de jury populaire, qui fait de façon immuable partie de l’arsenal judiciaire de la République de Maurice. La commission a d’abord proposé une provision technique pour qu’il y ait deux membres du jury en attente (spares) pour remplacer immédiatement un juré indisposé pour une raison quelconque lorsqu’un procès a déjà débuté. Ensuite, que soit enlevée du serment requis l’incantation « Help me God ! », de manière que ceux qui ne se réclament d’aucune religion (agnostiques) et les athées ne soient plus privés de leur droit — voire de leur devoir citoyen — d’exercer comme jurés.
Commandité par le bureau de l’Attorney General, comme le veut la procédure, le rapport de la Commission pour la réforme des lois s’est livré à une vaste étude des pratiques de plusieurs pays, dont celles de l’Angleterre, de la France, du Canada, de la Belgique, de l’Écosse et de Hong Kong, pour finalement conclure que le système de trial by jury doit être conservé à Maurice, mais seulement pour les cas jugés aux Assises. Selon la commission, les jurés ont depuis très longtemps joué un rôle crucial dans les systèmes légaux des sociétés libres et cela va probablement continuer ainsi dans le futur. Le système de jury existe pratiquement partout dans le monde, bien que pas tous les pays n’y ont toutefois recours. Par exemple, il a été aboli à Singapour en 1970, précédé par l’Inde dix années plus tôt, et l’Allemagne également l’a abandonné. Par contre, le système a une longue histoire en Grande-Bretagne et dans les pays membres du Commonwealth, dont Maurice.
La commission n’y fait aucune référence dans son rapport, mais à la lecture du document, il ne fait aucun doute que ses membres ont dû longuement débattre de la question de savoir s’il était approprié ou non de se débarrasser du système de jury populaire dans l’arsenal judiciaire mauricien. Valeur du jour, on sait qu’aux Assises, il faut nécessairement un jury constitué de neuf personnes pour juger d’un cas et que pour qu’un justiciable soit condamné, il faut absolument qu’une majorité de 7 contre 2 se prononce pour sa culpabilité. Or, à un moment donné, précisément à la suite de l’acquittement des accusés dans le meurtre de la touriste irlandaise Michaella Hart, un débat avait surgi autour du maintien du système et certains avaient opinés qu’il valait mieux que la justice soit prononcée uniquement par le juge.
Tel n’a pas été l’avis de la commission. Au contraire, a-t-elle relevé, les jurés jouent un rôle vital dans le système de justice criminelle, à tel point que nombreux pays comme l’Argentine, le Japon, la Corée du Sud, la Russie, l’Espagne et le Venezuela ont tous, dans un récent passé, changé pour inclure les citoyens ordinaires, en optant soit pour des jurys entièrement composés de profanes, soit pour des jurys dans lesquels des profanes côtoient des juges professionnels et décident, ensemble, du sort du justiciable.
Pour la commission, « le juge établit les règles de lois qui doivent être appliquées dans le cas, tandis que c’est aux jurés de décider sur les faits. En conséquence, d’une manière très importante, les jurés sont devenus une partie de la cour de justice elle-même. En plus, servir comme juré est un grand devoir de citoyenneté. Les jurés aident au maintien de l’ordre et de la loi, et défendent la justice parmi les citoyens. Conséquemment, le jury agit de telle façon qu’il entraîne les private citizens dans la société politique pour exercer un pouvoir d’État officiel ».
Citant Alexis de Tocqueville, la commission a rappelé que, dès 1835, cet historien et homme politique français avait décrit le système de jury américain comme « une institution politique… une forme de souveraineté du peuple… une école libre dans laquelle chaque membre d’un jury apprenait ses droits ». Et Tocqueville avait aussi martelé que les jurys « apprenaient aux hommes l’équité dans la pratique ».
Le citoyen de 18 ans considéré immature
Pour toutes ces raisons, la Commission pour la reforme des lois considère que le système de jury est d’une telle essentialité qu’il doit être maintenu afin que Maurice puisse retenir cette souveraineté avec laquelle les citoyens sont dotés de pouvoir. Et pour améliorer le système, les amendements suivants devraient être apportés :
— que deux membres du jury soient mis en attente, suivent les délibérations du procès et se tiennent prêts à remplacer à tout moment ;
— que tout juré passe un test en anglais pour déterminer sa maîtrise de cette langue afin de s’assurer qu’il puisse suivre les délibérations de la cour ;
— étant donné que servir en tant que juré est un devoir citoyen, que la pénalité de Rs 500 infligée à celui qui refuse cette responsabilité quand il a été désigné soit augmentée à Rs 2000 ;
— que des membres de certaines professions puissent se désister de servir comme jurés. (Concernant cette proposition d’amendement, la commission dit avoir pris note qu’un professionnel désigné peut encourir des inconvénients financiers, d’où la recommandation qu’une formule soit dégagée afin de les compenser).
La commission a exprimé l’avis qu’il n’est plus nécessaire que le serment prêté par les jurés se termine par « Help me God ! » (Mon Dieu, aidez-moi !) afin que les citoyens ne se réclamant d’aucune religion ou qui ne croient pas en Dieu puissent aussi exercer leur devoir.
La commission a cependant fait une dernière recommandation qui risque de susciter une vive polémique. Elle a recommandé que l’âge pour se qualifier comme juré soit maintenu à 21 ans, sous prétexte qu’à 18 ans on n’est pas encore assez mature pour suivre un procès. Et pourtant, les jeunes de 18 ans votent dans notre pays depuis les élections de 1976, donc se prononcent sur la politique et les projets de société… D’autant que la liste des jurés est aussi constituée à partir des listes électorales !